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Page:Pierre de Coubertin - L Europe inachevee, 1900.djvu/3

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l’europe inachevée

sous la Restauration : « Je ne comprends pas quel si grand intérêt on peut trouver à cette localité ! » C’est la Grèce qu’il voulait dire !

On discourait sur la légitimité du joug ottoman et l’on regardait les Grecs comme de simples sujets révoltés contre leur souverain légitime. C’est qu’en effet, le monde avait complètement perdu de vue qu’il existât des Grecs. Les Grecs se chargèrent de rappeler eux-mêmes au monde leur propre existence. Cette belle page de l’histoire générale n’a pas encore été écrite, elle le sera bientôt sans doute. La lutte dura quatre ans, elle fut terrible et meurtrière : le soulèvement avait été préparé sous le couvert d’une association d’apparence commerciale, l’Hetaira qui envoyait de tous côtés des commis-voyageurs en patriotisme pour donner secrètement aux Hellènes répandus dans tout le monde oriental l’admirable mot d’ordre : la liberté ou la mort.

Il vous souvient que l’Europe intervint finalement. Elle ne s’y décida point sous l’action des comités qui s’étaient fondés dans différents pays et groupaient tous les esprits vraiment libéraux. Elle se décida surtout par jalousie, alors que les Grecs allaient succomber. C’est le jour où il fut prouvé que la Russie allait intervenir à elle toute seule, que la France et l’Angleterre s’entendire avec elle et toutes trois signèrent un traité par lequel elles décidèrent de mettre fin aux hostilités et d’imposer la paix à la Turquie. À ce moment, il n’était pas encore question de l’indépendance, mais simplement d’imposer à la Turquie l’érection des territoires hellènes en une ou plusieurs principautés tributaires du sultan. Les Grecs forcèrent la main en quelque sorte à l’Europe et deux ans plus tard leur indépendance fut solennellement reconnue. Il restait exactement à ce moment 600,000 Grecs : pour les émanciper, 300.000 avaient donné leur vie. Retenez-bien ces chiffres. Je crois qu’il n’y a pas d’autre exemple dans l’histoire d’une nation dont le tiers ait disparu pour donner la liberté aux deux autres tiers.

Quand la Grèce eut été érigée en royaume indépendant, elle eut beaucoup de peine à vivre. C’est, en effet, le grand défaut de l’Europe, notamment dans les affaires d’Orient ; elle ressemble aux carabiniers d’Offenbach ; elle arrive toujours trop tard. Dans la circonstance, elle ne s’était pas beaucoup préoccupée que la Grèce fût ou non capable de vivre. Il fallut au nouveau royaume plusieurs années pour acquérir assez de territoires, assez de richesses pour y réussir ; elle vécut finalement, elle prospéra même et surtout elle remonta rapidement vers ses origines. Quand un savant allemand, Fallmerayer, nous assure que dans les veines de ce peuple émancipé il ne