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kerkyra.

qui a la forme d’un bastion géant. Le navire se dirige vers l’angle terrible que ce promontoire fait avec la côte : on dirait qu’il va s’y briser. Les vagues ont l’air inquiet, le vent souffle plus fort ; un étroit passage s’ouvre Le premier navigateur qui pénétra dans cette fente, ignorant des spectacles enchantés qui l’attendaient au delà, recommanda sans doute son âme à Dieu et se prépara à tomber dans quelque sombre gouffre ou à heurter quelque mortel écueil. Mais d’écueil il n’y a point, et tandis que, sur la gauche, l’Albanie demeure farouche, à droite passent de jolis monticules tout vêtus de feuillage. La montagne en forme de bastion s’humanise et s’égaie, et soudain, par delà un éperon de rocher contre lequel les flots se brisent en écumant, une grande nappe d’eau s’étend, qui donne au regard charmé la sensation d’un apaisement. L’île entière apparaît comme un long croissant de verdure flottant sur la mer ; toutes ses collines sont là, en amphithéâtre, attendant le voyageur pour lui souhaiter la bienvenue ; la forêt qui les couvre lui envoie le message grisant de ses senteurs parfumées, et sur le bord de l’onde la citadelle en pierres grises s’avance de l’air aimable des vieilles gens qui continuent d’apprécier la jeunesse et de sourire à la vie.

Pauvre citadelle ! Elle a bien grand air encore et porte vaillamment le poids de sa longue histoire : les arêtes de ses murailles ont perdu leur netteté primitive ; des pierres et des briques se sont détachées çà et là ; mais le lion de Saint-Marc s’incruste fière-