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Page:Pierre de Coubertin - Souvenirs d Amerique et de Grece, 1897.djvu/25

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souvenirs d’amérique et de grèce.

semblait n’être qu’une des particularités morbides de la décadence européenne. De braves théoriciens, échafaudant leurs raisonnements et leurs systèmes les uns sur les autres, en arrivaient à prouver, clair comme la lumière du jour, que les États-Unis se trouvaient à jamais préservés de tout conflit entre le capital et le travail par la nature même de leur organisation politique et la perfection de leurs rouages constitutionnels. Il eût été facile de se convaincre du contraire. La question sociale n’est pas née d’hier en Amérique ; elle s’est développée d’une manière normale ; il y a longtemps qu’on l’étudie, qu’on en prévoit l’évolution ; il fallait notre naïveté et notre ignorance de tout ce qui concerne ce pays pour ne pas comprendre qu’après tout la société humaine y revêt les mêmes caractères fondamentaux, y présente les mêmes causes de conflit, s’y trouve aux prises avec les mêmes problèmes que partout ailleurs.

Il existe une photographie panoramique de Jackson-Park, prise le lendemain du désastre ; de la cour d’honneur, plus rien n’est debout : ni le péristyle avec l’arc de triomphe, ni les palais blancs aux longues façades, ni le dôme central,… tout est à bas ; mais dans le grand bassin majestueux, que les gondoles ne sillonnent plus et auquel les grévistes, ivres de rage, ont fait une ceinture de ruines, toute seule, au milieu de l’eau, se dresse intacte la statue dorée de la République, les lauriers au front et le globe dans la main droite. Sa silhouette calme de déesse continue de resplendir au soleil, elle se détache sur l’horizon du lac dominant les hommes et les événements.