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l’ouest américain.

content de lui, espèce de sacristain débauché qui forma autour de Brigham Young le conseil suprême de l’église du grand Lac Salé, mais le Mormon humble et pauvre qu’avaient séduit les élucubrations naïves de Joe Smith ou les promesses extravagantes des missionnaires envoyés en Europe par son rusé successeur. Il y eut deux mormonismes. Joe Smith était un farceur, de l’ordre le plus vulgaire, mais il groupa autour de lui beaucoup de sincères et de convaincus. Tel était le désordre moral qui régnait alors dans les cervelles américaines qu’un peu d’audace et d’imagination suffisait à déterminer un nombre important d’adhésions à toute doctrine nouvelle ; à vrai dire, il n’y avait rien de nouveau dans la doctrine de Joe Smith : de polygamie, il n’était point question. Le « livre de Mormon » ne présentait d’original que sa prétendue découverte au fond d’une caverne préhistorique, à la suite d’une vision dans laquelle Dieu aurait fait connaître au pauvre artisan illettré les destins suprêmes de l’humanité. On y crut parce qu’on s’y attendait. L’idée d’une rénovation spirituelle, d’une seconde révélation, d’un contact précis entre Dieu et l’homme troublait infiniment d’esprits, même d’esprits distingués. Des sectes se fondaient dont l’absurdité apparaît aujourd’hui à tous les regards, mais qui répondaient, en ce temps-là, aux aspirations inquiètes de l’âme américaine, avide d’être éclairée et consolée. Smith ouvrait à ses disciples des perspectives heureuses et tranquilles, sur la vie future ; quant à la vie présente, devenue le vestibule de l’éternité, il répandait sur elle