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Page:Pierre de Coubertin - Souvenirs d Amerique et de Grece, 1897.djvu/79

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souvenirs d’amérique et de grèce.

l’humanité a dû choisir : celle du travail lucratif et celle du labeur désintéressé ; on prend l’une pour atteindre la fortune et l’autre pour poursuivre la science. Il était admis jusqu’à ce jour, qu’aucun Américain ne pouvait hésiter entre ces deux routes ; bien plus, on croyait que dans son nouveau monde une seule des deux routes était tracée. L’erreur était générale. Parcourez les universités ; arrêtez-vous de préférence non point dans celles qui sont les plus riches, les plus nombreuses et situées dans de grandes villes comme Boston, New-York, Philadelphie, Chicago, mais dans les moins importantes, Amherst, Madison, Lehigh, ou dans les plus lointaines, Charlottesville, la Nouvelle-Orléans, Ann-Arbor ; c’est là que vous trouverez la race nouvelle : le professeur que satisfait un modeste traitement parce que la passion d’enseigner suffit à remplir son existence ; l’étudiant que n’inquiète point un avenir sans ressources parce que la passion de savoir gouverne la sienne. Ceux-là sont la minorité, il est vrai, mais combien robuste et saine est cette minorité, et combien respectée par le professeur ou l’étudiant riches ! Là aussi, vous noterez ce trait distinctif qui ouvre sur l’avenir intellectuel de l’Amérique des perspectives imprévues et redoutables. La volonté, l’énergie, la persévérance par lesquelles il parvient à la fortune, l’Américain est susceptible de les employer aussi au service désintéressé de la science. Il le fait déjà.