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Page:Pierre de Coubertin Souvenirs d Oxford et de Cambridge 1887.djvu/29

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souvenirs d’oxford et de cambridge

que Christ Church n’est pas aussi riche que Trinity, qui est affligé d’un revenu de 52 000 livres sterling (1 300 000 francs).

Dans la soirée, il y a séance à l’Union. On discute… les mérites de Gladstone, pour changer ; à l’aide d’une formule assez vague, on a trouvé moyen de ramener le débat sur l’éternelle question qui intéresse tout le monde ; néanmoins la salle est un peu vide. Quatre ou cinq orateurs se font entendre, parmi lesquels le jeune Peel, fils du speaker de la Chambre des communes et petit-fils du grand Robert Peel. Les arguments ont été pesés d’avance et numérotés ; le commencement et la fin, appris par cœur ; le milieu laissé à l’inspiration du moment ; c’est un excellent exercice : Good training. Ceux qui n’osent encore affronter l’Union, apprennent à vaincre leur timidité dans les réunions hebdomadaires des petites assemblées comme la Wolsey. En France, nous ne comprenons guère que le travail préparé et lu ; nous ne pratiquons pas la discussion orale sur un sujet donné avec défense de lire ; en Angleterre, les plus petites villes ont leur Debating Society. — L’Union possède une magnifique bibliothèque : les salons sont éclairés à l’électricité ; voilà qui n’est pas moyen âge !…

C’est l’hiver ; il a répandu dans l’air son âcreté qui rend la vie plus intense et les idées plus nettes ; dans les taillis du parc, il n’y a plus que les sapins, les indomptables sapins qui tranchent sur le fouillis grisâtre des branches mortes ; et la rivière, à sa surface morne, lourde comme du plomb fondu, ne reflète plus qu’un ciel incolore et les troncs noueux qui s’inclinent sur ses rives ; à travers la brume tombe une clarté diffuse ; les ritournelles de toutes les cloches d’Oxford, secouées dans des clochers invisibles, invitent les fidèles à célébrer l’office du matin… Encore trois dimanches, et c’est Christmas qu’elles annonceront ; Christmas, la fête du Nord et du home, deux choses qu’il faut aimer pour la comprendre ! L’université alors sera déserte ; c’est au sein de sa famille qu’on doit manger le gâteau de Noël, et, pour ce jour-là, les plus indépendants reprennent le chemin du foyer ; c’est peut-être le seul dans l’année, où l’Anglais ne puisse supporter la solitude et l’éloignement.

Hier soir, l’Armée du Salut, à laquelle la présence de la maréchale Booth cause un redoublement de ferveur, a parcouru les rues ; une fanfare, entourant la bannière, défilait d’abord sur un rythme guerrier ; puis venait le cortège des fidèles, suivis d’une affiche colossale qui vous invite à vous convertir sans perdre un millième de seconde. La maréchale fait une tournée : jusqu’ici elle avait tonné contre les joies matrimoniales, mais elle s’est ravisée et prend un de ses capitaines pour prince consort : une note insérée dans tous les journaux