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CHAPITRE V.

qui a vécu aux champs, et dont l’âme n’est point restée froide au spectacle des œuvres de Dieu. Mais Hésiode est avant tout un moraliste, un donneur de conseils. Il excelle à présenter sous une forme concise et piquante, sous une image riante ou terrible, les vérités de sens commun. Nul poëte antique n’a laissé plus de proverbes dans la mémoire des hommes ; et, bien longtemps avant Ésope, Hésiode a eu la gloire de créer l’apologue, ou du moins de donner la forme poétique à ces allégories morales qui sont de tous les temps et de tous les pays du monde.


Poëme des Œuvres et Jours.


Le poëme des Œuvres et Jours débute par un court prélude en l’honneur de Jupiter ; puis le poëte entre comme il suit dans son sujet : « Il n’est pas une espèce seulement de rivalités, mais il y en a deux sur la terre. L’une serait digne des éloges du sage ; l’autre au contraire est blâmable. Elles sont animées d’un esprit bien différent, car l’une excite la guerre désastreuse et la discorde. La cruelle ! pas un mortel ne la chérit, mais les décrets des immortels font subir, malgré qu’on en ait, l’ascendant de la rivalité funeste. L’autre a été enfantée la première par la Nuit ténébreuse ; et le fils de Saturne, qui habite dans l’air et s’assied sur un trône élevé, la plaça dans les racines de la terre, et voulut qu’elle fût propice aux hommes. C’est elle qui pousse au travail l’indolent même. Car l’homme oisif, qui jette les yeux sur le riche, s’empresse à son tour de labourer, de planter, de bien gouverner sa maison ; et le voisin est jaloux d’un voisin qui tâche d’arriver à l’opulence. Or, cette rivalité est bonne aux mortels. Et le potier s’irrite contre le potier, et l’artisan contre l’artisan ; et le mendiant porte envie au mendiant, et l’aède à l’aède[1]. »

Hésiode fait énergiquement sentir à son frère qu’en dehors du travail et de la vertu, il n’y a pour l’homme que mécomptes et calamités. Il lui rappelle, d’après les traditions antiques, la dégénérescence successive de la race humaine

  1. Œuvres et Jours, vers 11 et suivants.