Page:Pierron - Histoire de la littérature grecque, 1875.djvu/144

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
132
CHAPITRE VII.

faut tâcher de s’élever à cette vertu suprême, et lutter intrépidement contre l’ennemi.

On sait comment finit la deuxième guerre de Messénie. Aristomène, le héros des Messéniens, ne put que retarder, par son courage et par son indomptable opiniâtreté, l’asservissement de son pays. Les chants de Tyrtée, et aussi les exemples dont il appuyait personnellement ses exhortations, contribuèrent pour une large part au triomphe définitif des Lacédémoniens. Sparte honora Tyrtée vivant de ces distinctions que le poëte offrait comme un appât à la bravoure. Après sa mort, elle ne l’oublia pas davantage. Il n’était pas un Spartiate qui ne sût par cœur les poésies de Tyrtée. Quand on était en campagne, c’était la coutume, après le repas du soir, après le péan en l’honneur des dieux, de réciter solennellement les élégies composées jadis pour la lutte contre les Messéniens. Chacun récitait à son tour, et rivalisait de zèle à bien dire. Celui qui avait le mieux chanté recevait du chef une récompense : sa portion de nourriture était plus considérable que celle des autres. Plusieurs siècles après les guerres de Messénie, les vers de Tyrtée aidaient encore à gagner des batailles.

Tyrtée n’avait pas composé seulement des élégies. Il reste de lui quelques vers anapestiques. Ce sont les débris, selon toute apparence, des chants qui servaient à régler la marche des soldats, ou qui retentissaient dans la bataille même. Les vers anapestiques n’admettent, pour remplacer l’anapeste ( ̆ ̆¯), que des équivalents complets, comme le dactyle (¯ ̆ ̆) ou le spondée (¯¯) ; ils n’ont pas un nombre de pieds déterminé, et ils n’ont d’autre règle que la succession indéfinie des anapestes ou de leurs équivalents. On pourrait même dire qu’il n’y a pas de vers anapestiques à proprement parler, mais un rythme anapestique, qui commence avec le premier anapeste et qui finit avec le dernier. Cette continuité rythmique n’existe pas dans l’élégie. La dernière syllabe de l’hexamètre et du pentamètre est à volonté : le vers épique peut finir par un trochée (¯ ̆) et le vers élégiaque par un tribraque ( ̆ ̆ ̆), deux pieds qui rompent la mesure, car ils sont d’un quart plus courts que l’anapeste, le dactyle ou le spon-