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CHAPITRE VIII. SUITE DE LA POÉSIE ÉLÉGIAQUE.

sa pensée n’était plus libre, et il avait perdu, avec la sainte vertu de l’indépendance, tout ce qui fait la vie grande et digne du nom de vie. Poëte, il était réduit au culte des souvenirs, ou à la prédication des voluptés sensuelles. Mimnerme en est un exemple. Il avait écrit une élégie en l’honneur d’une victoire remportée jadis par les Smyrnéens sur Gygès. Cette dette une fois payée aux gloires antiques, il s’était livré tout entier à cette mollesse et à cette mélancolie qui sont le bonheur des esclaves. C’est Mimnerme qui a composé la première élégie amoureuse.

Les vers qui restent de ce poëte nous montrent un homme indifférent à tout, hormis au plaisir. La jeunesse et l’amour, voilà selon lui les biens suprêmes. Vieillir lui est pire que la mort. Il souhaite de ne pas dépasser la soixantième année ; il peint de sombres couleurs les misères de l’homme qui a vécu trop longtemps : « Quand la douloureuse vieillesse est survenue, la vieillesse qui réduit au même point l’homme laid ou beau, l’âme est sans cesse harcelée, accablée de fâcheux soucis ; on n’a plus de joie à contempler la lumière du soleil. On vit haï des jeunes gens, méprisé des femmes. » Nous voilà bien loin de Callinus. Mimnerme revient perpétuellement à ces pensées, avec une merveilleuse abondance d’images, avec une grande vivacité de sentiment, quelquefois une rare énergie d’expressions. Je dois dire pourtant qu’il y a quatre ou cinq vers ïambiques cités sous le nom de Mimnerme. Mais ces vers sont trop insignifiants pour nous permettre de dire si les ïambes du poëte étaient, oui ou non, des satires. Par son talent du moins Mimnerme était digne d’avoir vécu et chanté dans la patrie d’Homère. C’est à Smyrne en effet qu’il a passé sa vie. Il nous apprend lui-même qu’il était un des Colophoniens qui étaient venus s’établir dans cette ville, et dont les ancêtres étaient originaires de Pylos. Quant à l’époque où il florissait, tout ce qu’on sait de certain, c’est qu’il était encore dans la force de l’âge quand Solon était déjà un poëte. Solon, en effet, lui adresse ses critiques sur ce souhait d’une mort prématurée, dont je parlais tout à l’heure. Solon propose pour correction le chiffre de quatre-vingts ans, au lieu de soixante, et il