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CHAPITRE VIII.

et les espérances du poëte, et probablement malgré ses efforts, le mal s’accomplit. Le monde est renversé ; tout est perdu : ceux qui n’étaient pas des citoyens sont des citoyens. Voici comment Théognis se lamente sur l’invasion des Périœces, ces paysans de la banlieue de Mégare, qui venaient de conquérir violemment le droit de cité : « Cyrnus, cette cité est encore une cité ; mais, certes, c’est un autre peuple. Ce sont des gens qui ne connaissaient auparavant ni tribunaux ni lois. Ils portaient autour de leurs flancs des peaux de chèvres ; comme des cerfs, ils habitaient hors de cette ville. Et maintenant, fils de Polypas, ils sont les bons ; et ceux qui jadis étaient les braves sont les lâches maintenant. Qui pourrait supporter un pareil spectacle ? Ils se trompent mutuellement, en se moquant les uns des autres ; ils n’ont pas le sentiment de ce qui est bien ni de ce qui est mal[1]. » Théognis recommande à son jeune ami de détester cordialement ces grossiers, ces fourbes, ces méchants, sans toutefois cesser de leur faire bonne mine, de peur probablement de quelque mésaventure. Quand les nouveaux venus, enivrés de leur victoire, ont usé de représailles contre les anciens oppresseurs, Théognis s’enflamme d’une véritable rage. Il va jusqu’à souhaiter de boire le sang de ceux qui l’ont dépouillé de son patrimoine.


Sentences morales de Théognis.


Les sentences morales de Théognis ne sont pourtant pas indignes de leur réputation. Ce sont, pour la plupart, des vérités de sens commun, ou des observations fines et profondes, toujours exprimées avec précision, quelquefois avec cette vive éloquence qui part de l’âme. Je ne m’étonne donc pas que la Grèce démocratique ait tenu en si grande estime les œuvres de cet aristocrate entêté. Les préjugés de l’homme de parti n’offusquaient pas toujours la raison du penseur ; et le talent poétique rachetait amplement les erreurs mêmes de la passion et les assertions inconsidérées. Quand Théognis touche aux grands sujets, son style s’élève et se colore

  1. Sentences, vers 53 et suivants.