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LYRIQUES DORIENS.

teur, de Stésichore. Même système de composition, même prédilection pour les sujets épiques, même mode de versification, même dialecte, ionien au fond avec une teinture dorienne. Rhégium en Italie, comme Himère en Sicile, avait une population mêlée : parmi ses habitants, les uns descendaient d’Ioniens de Chalcis, les autres de Doriens du Péloponnèse. Ibycus n’eût donc guère qu’à se servir de la langue qu’on parlait dans sa ville, pour ressembler par le dialecte à son devancier. Il n’est pas douteux d’ailleurs que l’étude des ouvrages de Stésichore n’ait exercé une puissante influence sur la tournure de l’esprit d’Ibycus. L’extrême ressemblance des deux poëtes a permis plus d’une fois aux auteurs anciens d’attribuer à l’un ce qui était de l’autre, et réciproquement ; et le hasard à lui seul ne produit pas de tels phénomènes. Quintilien eût pu dire aussi d’Ibycus qu’il soutenait sur la lyre le fardeau de l’épopée. Ibycus a traité les mêmes sujets que Stésichore, Argonautiques, épisodes de la guerre de Troie, vies de héros, et avec le même amour du merveilleux mythologique. C’est ce qu’on voit encore dans ces paroles, qu’il faisait prononcer quelque part à Hercule : « Et je tuai les jeunes hommes aux blancs coursiers, les fils de Molione, deux jumeaux de même taille, n’ayant qu’un corps unique, nés tous les deux dans un œuf d’argent. »

Ce n’était pas là sans doute le genre de poésie que prisaient le plus Polycrate et ses courtisans. Polycrate, qui tenait sous sa domination les principales îles de la mer Égée, ressemblait beaucoup plus à un roi d’Orient qu’à ces tyrans populaires, souvent simples et rudes dans leurs mœurs, qui gouvernaient alors quelques-unes des villes de la Grèce. Il possédait des trésors considérables ; il avait fait construire dans Samos de magnifiques palais ; il traitait d’égal à égal avec les plus puissants souverains, et il rivalisait avec eux de luxe, d’élégance, et aussi de mollesse et de vices. A supposer qu’Ibycus, avant son départ pour Samos, ne se fût encore exercé que dans le genre héroïque, il ne tarda point à baisser le ton de sa lyre à l’unisson des poëtes gracieux qui chantaient à la cour de Polycrate. C’est à Samos probablement qu’il composa ses poésies érotiques, plus vantées encore des