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CHAPITRE XVI.

nie, et probablement aussi la Perse. Il pénétra jusqu’au fond du Pont-Euxin, en suivant le rivage méridional de cette mer, et il séjourna dans tous les lieux qui offraient quelque aliment à sa curiosité. Dès l’âge de vingt-cinq ans peut-être, il méditait déjà son grand ouvrage. À trente ans, il vivait dans sa ville natale, travaillant à mettre en ordre les immenses matériaux qu’il avait amassés, et s’essayant à la composition de ces récits qui devaient charmer la Grèce, quand un événement funeste vint bouleverser sa fortune et détruire son repos.

Ce n’était plus le temps de la grande Artémise, ce temps où les lettres étaient en honneur dans le palais même des souverains, et où Pigrès, frère de la reine, ambitionnait le nom de poëte et la gloire de se dire un des disciples d’Homère. Lygdamis, roi d’Halicarnasse, n’était qu’un cœur bas et féroce ; et Panyasis fut particulièrement en butte à sa haine pour tout ce qui était noble et grand. Le poëte périt un jour, égorgé par l’ordre du tyran. Hérodote lui-même, que Lygdamis n’aimait pas davantage, faillit aussi perdre la vie, et ne se mit à l’abri qu’en fuyant d’Halicarnasse.

Il alla s’établir, vers l’an 442, dans l’île ionienne de Samos. C’est là qu’il se perfectionna dans l’étude du dialecte qui était la langue de la prose, et qu’il se pénétra de cet esprit ionien qui vit d’un bout à l’autre de son œuvre. Car Hérodote n’a rien de cette fierté aristocratique, de cette roideur, de ces préjugés nationaux, que les Doriens portaient partout avec eux : il s’est, si je puis ainsi dire, dépouillé du vieil homme, en quittant le dialecte de ses pères. C’est à Samos encore qu’Hérodote prépara les moyens de délivrer ses compatriotes du joug de leur tyran. Il réussit dans son entreprise contre le meurtrier de Panyasis, et il revit sa patrie après un exil de plusieurs années. Mais, au lieu de ce loisir et de cette douce quiétude où il comptait passer sa vie, il ne trouva qu’amertume et dégoûts. Halicarnasse ne sut pas jouir de la liberté ; et les dissensions civiles ne tardèrent point à en rendre le séjour intolérable pour un homme d’étude et de paix, Hérodote, désespérant de la raison de ses concitoyens, les abandonna à leurs passions, et alla chercher, loin d’Hali-