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HÉRODOTE. HIPPOCRATE

fluence des climats et des saisons sur la santé des hommes, n’est pas seulement un chef-d’œuvre scientifique, remarquable par la profondeur et la justesse des observations ; ce n’est pas seulement un des plus utiles écrits qu’ait jamais inspirés l’étude approfondie de la nature : on aurait peine à trouver dans toute l’antiquité, chez Aristote, chez Platon même, un morceau qui soit tout à la fois et plus sérieux et plus intéressant. Je n’ai besoin, pour en fournir la preuve, que de prendre au hasard une des pages de cet opuscule, qui en compte une trentaine à peu près :

« Quant à la pusillanimité, à l’absence de courage viril, si les Asiatiques sont moins belliqueux et plus doux que les Européens, la principale cause en est dans les saisons, qui, en Asie, n’éprouvent pas de grandes variations ni de chaud ni de froid, mais sont à peu près uniformes. En effet, l’esprit n’y ressent point ces commotions, le corps n’y subit pas ces changements intenses, qui rendent naturellement le caractère plus farouche, et qui lui donnent plus d’indocilité et de fougue qu’un état de choses toujours le même ; car ce sont les changements du tout au tout qui éveillent l’esprit de l’homme et ne le laissent pas dans l’inertie. C’est, je pense, à ces causes extérieures qu’il faut rapporter la pusillanimité des Asiatiques, et aussi à leurs institutions. En effet, la plus grande partie de l’Asie est soumise à des rois ; et, toutes les fois que les hommes ne sont ni maîtres de leurs personnes, ni gouvernés par les lois qu’ils se sont faites, mais par la puissance despotique, ils n’ont pas de motif raisonnable pour se former au métier des armes : ils en ont, au contraire, pour ne point paraître guerriers, car les périls ne sont pas également partagés. C’est contraints par la force qu’ils vont à la guerre, qu’ils en supportent les fatigues, et qu’ils meurent pour leurs despotes, loin de leurs enfants, de leurs femmes et de leurs amis. Tous leurs exploits et leur valeur guerrière ne servent qu’à augmenter la puissance de leurs despotes : quant à eux, ils ne recueillent d’autres fruits que les dangers et la mort. En outre, leurs champs se transforment en déserts, et par les dévastations des ennemis, et par la cessation des travaux ; de sorte que, s’il se trouvait parmi eux quelqu’un qui