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SOPHOCLE.

Système dramatique de Sophocle.


Sophocle n’a point fait de trilogies proprement dites. Du moins il ne paraît pas que, même au temps où l’on exigeait encore quatre pièces de chacun des concurrents dramatiques, Sophocle ait jamais tiré ses trois tragédies de la même légende, ni construit un ensemble dramatique dans le genre de l’Orestie. Que si trois des pièces qui nous restent de lui se font à peu près suite l’une à l’autre, Œdipe-Roi, Œdipe à Colone, Antigone, il n’y a rien là que de fortuit, car ces trois pièces n’ont pas été composées à la même époque, ni représentées le même jour. Mais les drames de Sophocle ont assez d’étendue pour suffire, chacun en particulier, au complet développement d’une action, et pour satisfaire à toutes les exigences de l’esprit du spectateur. Les personnages y sont plus nombreux que dans ceux d’Eschyle, mais non point assez pour diviser l’intérêt et nuire à l’unité d’impression. Tout ce que la fable comporte d’incidents et de péripéties s’y déroule successivement, mais sans confusion, sans encombre, sans aucune surcharge inutile. Le temps y est réglé d’une manière calme et ferme ; rien ne s’y fait par sauts, rien n’y rappelle les brusques suppressions de la durée et de l’espace qu’Eschyle s’est permises dans l’Agamemnon et dans les Euménides. Sophocle ne se borne pas à un trait unique, dans le dessin des caractères : ses personnages se développent eux-mêmes avec l’action, et révèlent peu à peu leur âme. On ne les connaît tout entiers qu’au dénouement, et après qu’ils ont passé par les épreuves que leur fait subir le poëte.

Sophocle réduit à un rôle moral ce chœur dont Eschyle faisait encore quelquefois le principal personnage de ses tragédies. Toutefois il ne le désintéresse nullement de l’action qui se passe sous ses yeux : le chœur y est personnage, mais conseillant, dissuadant, plutôt qu’agissant ; mais représentant, pour ainsi dire, la conscience publique, et répondant à ce qui se passe dans l’âme même des spectateurs. J’ai dit, en parlant d’Eschyle, que Sophocle faisait dans le dialogue