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LA POÉSIE GRECQUE AVANT HOMÈRE.

sée, la tourbe des hommes libres et des esclaves. Les simples instruments qui servaient alors à soutenir les accents de la voix, la cithare et la phorminx, qui n’étaient pas encore tout à fait la lyre, ne semblaient pas indignes même de la main des héros. Achille ne déroge point en faisant, pour son plaisir propre, ce que les aèdes font pour le plaisir d’autrui, Quand on essaya de le tirer de sa funeste inaction, les députés qu’on lui adressait « le trouvèrent charmant son âme avec la phorminx harmonieuse… ; et il chantait les glorieux exploits des guerriers. Patrocle se tenait en silence, assis vis-à-vis, et attendait qu’Éacide eût cessé de chanter[1]. »

Je sais bien tout ce qu’il faut revendiquer, dans ces tableaux, pour la fantaisie du poëte qui les a tracés ; je sais qu’Homère voyait déjà l’époque héroïque dans un lointain favorable à la perspective : il croyait le monde dégénéré ; et ces hommes qu’il peint trois ou quatre fois plus vigoureux que ceux parmi lesquels il vivait lui-même, il était naturellement porté à les faire plus vertueux aussi, plus intelligents, plus passionnés pour la musique et la poésie. Mais, sous l’exagération épique, on sent vivre une réalité véritable, une société qui n’est pas sans culture, et où règne encore, suivant le mot de Fénelon, l’aimable simplicité du monde naissant. Je vais plus loin : les aèdes nommés dans les poëmes d’Homère ne sont point des personnages inventés à plaisir : ils ont existé ; et leur nom au moins, sinon toute leur légende, doit figurer dans l’histoire.


Thamyris.


Un de ces aèdes, Thamyris, qu’Homère rappelle à propos de Dorium, une des villes de Nestor, est encore un Thrace, mais ce n’est plus le ministre des dieux : il ne diffère pas des chantres qui hantaient les palais des rois, et dont l’âme se laissait trop souvent aller à l’orgueil, corrompue par les applaudissements populaires : « Les Muses y rencontrant Thamyris l’aède Thrace, comme il revenait d’Œchalie, de chez

  1. Iliade, chant IX, vers 485 et suivants.