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CHAPITRE XXVII.

sa sagesse. Il se fit le précepteur de ses compatriotes, non par amour du gain, ni pour faire parler de lui, mais en vertu d’une sorte de vocation intérieure. On le voyait, sur la place publique, discutant avec les uns et les autres, et travaillant de toutes ses forces à éclairer leur raison, à corriger leurs défauts, à former leurs esprits aux saintes idées du vrai, du beau et de l’honnête. C’était encore son métier de sculpteur, comme il disait ; seulement il avait changé d’outil et de matière.


Lutte de Socrate contre les sophistes.


Telle était la vie qu’il menait déjà depuis quelques années, quand les sophistes parurent. Il eut bien vite percé à jour et leur fausse science et leurs faux talents, et deviné quelle détestable peste venait de s’abattre sur Athènes. Il commença la guerre dès l’arrivée de Gorgias. Il la continua, sans paix ni trêve, jusqu’à la fin de sa vie, durant quarante ans entiers, contre les sophistes, contre leurs disciples, contre tous ceux qui, de près ou de loin, avaient subi l’influence désastreuse de leurs doctrines. Avec les disciples et les admirateurs, Socrate se contentait de ces conversations familières où, en interrogeant et en provoquant la réflexion, il amenait peu à peu l’interlocuteur à ses propres idées ; habile, comme il le disait lui-même, à accoucher les esprits, et exerçant sur eux, selon son expression encore, l’art de sa mère, la sage-femme Phénarète. Avait-il affaire avec les sophistes eux-mêmes, il y mettait plus de solennité ; et d’ailleurs ces grands hommes n’étaient pas de ceux qu’il eût à cœur de guérir, ou qu’il se flattât de ramener : tout ce qu’il voulait, c’était de démasquer leur ignorance réelle, l’impiété et l’immoralité de leurs enseignements.

Voici comment il s’y prenait d’ordinaire. Il se faisait conduire par quelque ami dans une de ces réunions publiques ou privées que le merveilleux personnage, Gorgias ou tout autre, devait honorer de sa présence et charmer de ses discours au plus juste prix. Il écoutait religieusement la magnifique dissertation ; il ne s’irritait pas des bravos décernés