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SOCRATE.

à l’orateur ; il témoignait même de son admiration pour des talents si prodigieux. Puis, quand l’enthousiasme s’était quelque peu apaisé, il demandait la permission d’adresser au savant homme une question toute simple, ou de lui demander une petite explication, qui ne l’embarrasserait guère. Le sophiste, par exemple, avait-il fait le panégyrique de la vertu, Socrate s’étonnait qu’il n’eût pas commencé par dire ce qu’était précisément la vertu, ce qui la faisait être la vertu et non pas autre chose. Que si le sophiste s’en tirait par une des énumérations dont j’ai parlé, et se mettait à faire la liste des diverses qualités qu’on nomme des vertus, Socrate n’avait pas de peine à lui montrer qu’il n’avait pas répondu à la question. Le sophiste se piquait d’honneur, et ne restait point à court de paroles. Tantôt il essayait quelque énumération nouvelle, que Socrate rejetait au même titre que la première ; tantôt il se lançait dans quelque amplification sur le pouvoir de la vertu, sur ses attraits, sur le bonheur et la tranquillité de l’âme vertueuse. L’assemblée, comme de raison, applaudissait à tout rompre ; mais Socrate insistait, et voulait avoir sa définition. Souvent, le sophiste impatienté avait recours à son arsenal d’arguments captieux, et posait à son tour des questions ou soulevait difficulté contre difficulté. C’était là que l’attendait Socrate. Alors, s’engageait la lutte véritable. Socrate, armé de principes assurés, d’un bon sens imperturbable, d’une clairvoyance que rien ne pouvait mettre en défaut, se dégageait de tous les liens avec prestesse et grâce, et ramenait la discussion à des termes précis. Avec une exquise politesse de formes, il se mettait à presser son adversaire, le forçait de concession en concession, le précipitait de piège en piège, jusqu’à l’absurde, jusqu’aux contradictions les plus ridicules. Il devenait manifeste, à la fin, que le sophiste ne savait pas même ce qu’était la chose sur laquelle il avait disserté ; et Socrate avait atteint son but.

Jamais Socrate n’abusait de la victoire. Il lui suffisait que l’ennemi rendît les armes, ou qu’il désertât la bataille. Sa plus cruelle vengeance, et il ne l’exerçait pas toujours, c’était de reprendre lui-même le sujet traité, et d’établir les vrais principes à la place du bavardage sophistique. Il ne le faisait