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ORATEURS DU QUATRIÈME SIÈCLE AV. J. C.

la sophistique pure, et en général des phrases, des mots, puis des phrases et des mots encore, et rien dedans. C’était bien la peine qu’Isocrate s’acharnât, quinze années durant, à perfectionner le Panégyrique, pour y laisser ces rodomontades de vieux fat gâté par le succès, ces défis à tous les critiques de trouver rien à reprendre dans son ouvrage ! Je suis bien convaincu que tous les termes y sont employés dans le plus pur sens attique ; que tous les mots y sont à la place la plus convenable ; que toutes les phrases y sont parfaitement irréprochables et pour le tour et pour l’harmonie ; mais ce savant architecte en voyelles et en consonnes semble s’être assez peu occupé de la valeur réelle de quelques-unes de ses pensées. Il dit, en parlant de l’éloquence, qu’elle a le don « de rabaisser ce qui est grand aux yeux de l’opinion, de rehausser ce qui paraît le moins estimable, de prêter à ce qui est ancien les grâces de la nouveauté, et les traits de l’antiquité à ce qui est nouveau. » Gorgias l’avait dit avant Isocrate. Isocrate le répète sérieusement : c’est comme s’il nous avertissait de ne pas ajouter foi à tout ce qu’il va nous conter, et de prendre partout le contre-pied de ses paroles.

Platon, dans le Phèdre, fait un grand éloge d’Isocrate, et lui pronostique les plus brillantes destinées oratoires. Mais le Phèdre a été écrit à une époque où Isocrate était jeune encore, et où il venait donner une preuve de courage en essayant de défendre, devant les Trente, son ami Théramène. Platon conserva, sans nul doute, des sentiments d’affection pour un homme qui s’était exposé aux ressentiments populaires en portant publiquement le deuil de la mort de Socrate ; mais je ne saurais croire que l’auteur du Gorgias ait jamais vu un grand orateur dans l’auteur de l’Éloge d’Hélène. Cicéron, qui avait célébré les mérites de Lysias, ne pouvait manquer de s’extasier devant l’écrivain qui était une sorte de Lysias perfectionné. Pour nous modernes, nous pouvons bien, comme l’a fait Thomas, rappeler les honorables témoignages de Platon, de Cicéron, de Quintilien, de Denys d’Halicarnasse ; nous pouvons rappeler aussi les deux statues élevées à Isocrate, et la colonne surmontée d’une sirène, symbole de son éloquence ; mais cette éloquence elle-même,