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CHAPITRE XXXIII.

peuple assemblé. Eschine déposa, contre Ctésiphon, un acte d’accusation, plusieurs années avant la mort de Philippe ; mais il ne prononça son fameux discours que huit ou neuf ans plus tard, quand le procès, suspendu par les événements qui avaient suivi la déroute de Chéronée, fut repris et définitivement jugé. Eschine démontre fort bien, dans ce discours, que la proposition de Ctésiphon est illégale ; que la loi défend de couronner un citoyen qui n’a pas rendu ses comptes, et qu’en tous cas le couronnement ne saurait avoir lieu au théâtre. Toute la première partie de cette accusation est un excellent plaidoyer, irréfutable au point de vue juridique. La seconde partie, où Eschine entreprend de démontrer que Démosthène n’a rendu aucun service à l’État, et qu’il est l’auteur de tous les maux d’Athènes, est très-vive, souvent pathétique, toujours brillante ; mais les arguments sont trop souvent faibles ou vicieux, et n’emportent pas suffisamment la conviction. On sent l’ennemi injuste, le déclamateur, le sophiste même. On ne s’étonne pas qu’après des prodiges d’esprit, et même d’éloquence, Eschine ait échoué dans son entreprise, tout en ayant pour sa cause le texte des lois. L’admirable péroraison du discours est gâtée elle-même, vers la fin, par un trait de mauvais goût. Je citerai ce morceau, un de ceux où l’on aperçoit le mieux tout à la fois et les éminentes qualités d’Eschine et ses défauts :

« Que penserez-vous de ses forfanteries, quand il dira : Ambassadeur, j’ai arraché les Byzantins des mains de Philippe ; orateur, j’ai soulevé contre lui les Acarnaniens, j’ai frappé les Thébains d’effroi ? car il s’imagine que vous êtes devenus assez simples d’esprit pour l’en croire ; comme si c’était la Persuasion que vous nourrissiez dans la ville, et non pas un sycophante ! Mais quand, à la fin de son discours, il appellera pour sa défense les complices de sa corruption, voyez, sur cette tribune où je parle, les bienfaiteurs de la république rangés en face d’eux pour repousser leur audace. Solon, qui a décoré la démocratie des plus belles institutions, Solon le philosophe, le grand législateur, vous prie, avec sa douceur naturelle, de ne point sacrifier aux phrases d’un Démosthène vos serments et les lois. Aristide, qui régla les