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LITTÉRATURE ALEXANDRINE.

pour s’instruire à fond dans une partie considérable de la mythologie et même de l’histoire. Mais c’est une assez pauvre gloire pour un poëte, ou pour un homme se donnant comme tel, qu’on dise de lui que son poëme rend des services, que son poëme est utile à la façon d’un dictionnaire. Ovide du moins, quand il versifiait le calendrier, n’oubliait pas toujours qu’il avait écrit les Métamorphoses. M. Dehèque voudrait qu’on reconnût aussi, dans Lycophron, quelque trace de vraie poésie, et qu’on y entendît, selon son expression, l’os magna sonaturum. Je regarde et j’écoute ; mais je ne vois rien, je n’entends rien. Il termine son Introduction par cette phrase : « Le poëme de Lycophron est un verger encombré d’épines et de ronces, où il y a, pour ceux qui y pénètrent, quelques belles fleurs, quelques beaux fruits à cueillir, comme dans un autre jardin des Hespérides. » Bachmann, un des éditeurs de Lycophron, avait dit la même chose en assez jolis vers latins. M, Rigault, le critique que j’ai cité à propos des métaphores du soldat, semble se ranger à l’avis de Bachmann et de M. Dehèque. Il transcrit même le morceau suivant comme un passage vraiment clair, où l’allusion n’a rien de forcé, et où l’allégorie ne manque pas de transparence : « Voici, mon pauvre cœur, voici ce qui t’affligera comme le plus grand des malheurs : c’est lorsque l’aigle aux ailes frémissantes, au noir plumage, aux serres belliqueuses, imprimera sur la terre l’empreinte de ses ailes, ornière creusée par une course circulaire, comme un bouvier trace un large sillon ; lorsque, poussant un cri de triomphe, solitaire et terrible, après avoir enlevé dans ses serres le plus aimé de mes frères, le nourrisson, le fils d’Apollon, il le déchirera avec ses ongles, avec son bec, et souillera de son sang la plaine et les prairies qui l’ont vu naître. Après avoir reçu le prix du taureau égorgé, qu’il pèsera dans l’exact plateau d’une balance, à son tour ayant versé une rançon égale, un brillant lingot du Pactole, il disparaîtra dans l’urne funéraire, pleuré par les nymphes qui aiment les eaux du Béphyre et la cime du Libèthre dominant Pimplée ; lui, le vendeur de cadavres, qui, craignant la mort, ne rougira pas de revêtir même une robe de femme, agitant près d’un métier