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LITTÉRATURE SICILIENNE.

flexions de Polybe à ce sujet, qui méritent, je crois, d’être mises sous les yeux du lecteur, et qui ne sont pas moins justes et sensées aujourd’hui qu’il y a vingt siècles : « Timée, dans son trente-quatrième livre, écrit ces lignes : J’ai continuellement habité Athènes pendant cinquante ans ; je n’ai pu ainsi évidemment m’initier au métier des armes. — Non, Timée, pas plus qu’à la connaissance des lieux par toi-même. — Il en résulte que si, dans le courant de son histoire, il rencontre quelque détail de topographie, il commet mensonge ou erreur ; et, lorsqu’il trouve la vérité, il en est de lui comme de ces peintres qui représentent dans leurs tableaux des animaux d’après des mannequins : dans ces compositions, les lignes extérieures sont quelquefois parfaites ; mais ce qui manque, c’est cette vigueur d’un robuste animal rendue au naturel avec la vérité qui fait la vraie peinture,… C’est là l’écueil de Timée, et en général de tous ceux qui n’ont pour fonds que cette science empruntée aux livres. Il leur manque l’exposition vive des choses, qu’entendent ceux-là seuls qui parlent par expérience. Aussi les historiens qui n’ont pas pris part aux affaires ne sauraient-ils éveiller dans l’âme de véritables émotions. Nos pères exigeaient, chez les historiens, des peintures si vraies, si sensibles, que, s’il était question de gouvernement, ils s’écriaient que l’auteur devait nécessairement être versé dans la politique et savoir ce qui s’y passe ; s’il traitait de l’art militaire, qu’il avait porté les armes et pris part aux combats ; de l’économie domestique, qu’il avait eu une femme et élevé des enfants. De même pour toutes les autres carrières de la vie. On ne peut espérer en effet un tel résultat que chez les historiens qui ont passé par la pratique, et qui choisissent le genre d’histoire fondé sur l’expérience. Sans doute, avoir figuré soi-même en toutes choses, avoir en tout joué un rôle, est bien difficile ; mais connaître par l’usage ce qu’il y a de plus important et de plus ordinaire, c’est chose indispensables[1]. »

  1. Polybe, Histoire générale, livre XII, chapitre XXV,i, o.