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CONTEMPORAINS D’AUGUSTE, ETC.

tre, dans ce qui est commun aux deux historiens, le plus frappant contraste : chez le Romain, partout des qualités de premier ordre ; chez le Grec, presque toujours faiblesse, prolixité, langueur même. Il compare le récit du combat des Horaces et des Curiaces, tel que Tite Live l’a donné, avec les pages correspondantes de l’Histoire ancienne de Rome ; et le pauvre talent de Denys ne se trouve pas très-bien de cette confrontation. Soyez sûr que ce n’est point Denys qui a fourni à Corneille la dramatique et saisissante matière des vers que vous savez par cœur.

Il faut bien le dire, Denys d’Halicarnasse était au-dessous de sa tâche d’historien. Ses livres de critique sont très-inférieurs pourtant à son Histoire. Ce qui est au moins bizarre, c’est que ce compilateur des annales du peuple roi n’a pas l’air de se douter que Rome ait une littérature. Il ne dit pas un mot de l’éloquence latine. Il ne prononce pas même le nom de Cicéron. Au reste, ses jugements sur les orateurs prouvent qu’il ne savait pas ce que c’est que l’éloquence, et qu’il la mettait tout entière dans les artifices de la diction. Ses jugements sur les historiens sont presque ridicules. Il reproche par exemple à Thucydide d’avoir mal choisi son sujet, et d’avoir retracé à ses concitoyens de tristes et humiliants souvenirs. Il voudrait que l’historien eût réservé sa belle oraison funèbre pour une meilleure occasion, parce que les premières escarmouches de la guerre n’en valaient pas la peine : comme si Thucydide n’avait songé qu’à faire un discours dont la place était indifférente, et non pas à reproduire à sa manière ce qui s’était réellement passé aux funérailles des premières victimes. Denys d’Halicarnasse ne voit partout que des mots et des phrases. Aussi ne faut-il pas s’étonner de l’entendre s’extasier sur la renaissance de l’éloquence dans le siècle où il écrit lui-même. L’homme qui regardait le Phèdre de Platon comme une œuvre sans valeur était de force à prendre pour des orateurs tous les rhéteurs du temps, et à se croire lui-même un phénix entre tous les écrivains anciens et modernes.