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CHAPITRE XLIII.

des chefs-d’œuvre, s’ils n’étaient éclipsés par le voisinage de ces ouvrages renommés. Ainsi la Consolation à sa femme sur la mort de sa fille est une lettre pleine d’émotion, de naïveté et de tendresse. Les traités sur la Superstition, sur le Mariage, sur la Noblesse, bien d’autres encore, ou pour mieux dire tous les traités moraux de Plutarque, et en général tous ses écrits de quelque nature que ce soit, se recommandent par des qualités estimables, et procurent au lecteur agrément et profit. Toujours et partout on y sent cet amour du bon et du beau, cette simplicité de cœur, cette parfaite sincérité, qui captivent le sentiment, alors même que la raison a quelque chose encore à désirer.

Montaigne, au livre deuxième des Essais, fait une comparaison en règle entre les Morales de Plutarque et les Épîtres de Sénèque. Ce qui lui plaît surtout, c’est la brièveté des opuscules et la variété des sujets : « Ils ont touts deux cette notable commodité pour mon humeur, que la science que j’y cherche y est traictée à pieces descousues, qui ne demandent pas l’obligation d’un long travail, dequoy ie suis incapable… Il ne fault pas grande entreprinse pour m’y mettre ; et les quitte où il me plaist : car elles n’ont point de suitte et dependance des unes aux aultres. Ces aucteurs se rencontrent en la plus-part des opinions utiles et vrayes ; comme aussi leur fortune les feit naistre environ mesme siècle ; touts deux precepteurs de deux empereurs romains ; touts deux venus de païs estrangier ; touts deux riches et puissants. Leur instruction est de la cresme de la philosophie, et présentée d’une simple façon, et pertinente. Plutarque est plus uniforme et constant ; Seneque plus ondoyant et divers : Cettuy cy se peine, se roidit et se tend, pour armer la vertu contre la foiblesse, la crainte et les vicieux appetits ; L’aultre semble n’estimer pas tant leurs efforts, et desdaigner d’en haster son pas et se mettre sur sa garde. Plutarque a les opinions platoniques, doulces et accommodables à la société civile ; L’aultre les a stoïques et épicuriennes, plus esloingnées de l’usage commun, mais, selon moy, plus commodes en particulier et plus fermes… Seneque est plein de poinctes et saillies ; Plutarque, de choses : celuy là vous eschauffe plus et vous esmeut ; cettuy ci