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AUTRES ÉCRIVAINS DU SIÈCLE DES ANTONINS.

comiques, qui semble avoir été inspiré par les sermons des premiers Pères de l’Église sur cet inépuisable sujet. Au reste, Aristide s’occupe, en général, beaucoup plus du choix et de l’arrangement des mots que des choses mêmes. Pourvu qu’il charme l’oreille, il s’inquiète assez peu de parler au cœur ou à l’esprit. Cette éloquence n’est pas celle que Socrate définit dans le Gorgias. Je ne m’étonne donc point qu’Aristide ait écrit deux discours consacrés à la défense de la rhétorique contre les attaques de Platon.


Hermogène.


Le sophiste Hermogène, né à Tarse en Cilicie, passa dans son temps pour un prodige. Il est inconnu aujourd’hui, et il mérite de l’être. Sa Rhétorique, que nous possédons presque entière, est l’ouvrage d’un esprit très-délié, très-subtil, d’un anatomiste consommé en fait de mots et de figures. Mais ces catégories savantes et ces règles géométriquement déduites n’apprennent rien d’essentiel ; et l’imitation de Démosthène, qu’il prêche sans cesse, n’est pas cette contemplation du beau qui élève notre âme, et qui la sollicite à produire à son tour de nobles pensées : c’est quelque chose de quasi mécanique ; c’est l’éloquence prise à la main et transportée hors de chez elle, c’est-à-dire anéantie. On s’étonne, dit un critique, d’une telle indifférence pour ce qui fait l’âme de la véritable éloquence ; et l’on est humilié à la pensée que la Rhétorique d’Hermogène ait pu si longtemps éclipser, dans les écoles, Platon, Aristote et Cicéron. Je dois remarquer que la précocité extraordinaire des talents de ce sophiste fut sans doute pour beaucoup dans l’engouement dont furent l’objet sa personne et ses écrits. À quinze ans, Hermogène professait la rhétorique avec éclat, et Marc-Aurèle lui-même fut alors curieux de l’entendre. Il n’avait que dix-huit ans quand il composa le traité tant admiré jadis. À vingt-cinq ans, il avait cessé d’être un homme : il perdit la mémoire et la parole ; et il végéta, dans un état presque complet d’idiotisme, jusqu’à un âge très-avancé.