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CHAPITRE LI.

pour le mépris de la réalité. C’est surtout, comme chez Tatius, une parfaite indifférence morale, et un cynisme étrange dans l’emploi des matériaux les plus immondes. Mais Xénophon d’Éphèse, l’auteur de ce roman, est bien loin d’avoir le talent de ses devanciers : « L’élégance travaillée de Tatius, dit M. Zevort, a fait place à la sécheresse ; à la manière épique d’Héliodore a succédé une froide exposition historique ; les inventions, de plus en plus communes, s’enflent et s’exagèrent jusqu’à l’absurde ; l’unité même est sacrifiée : Habrocome et Anthia, séparés dès le début, ont chacun un roman à part ; l’auteur court sans cesse de l’un à l’autre, et est obligé de renouer vingt fois le fil de leur histoire. On sent, en lisant les Éphésiaques, que Xénophon s’efforce de renchérir sur ses prédécesseurs, pour ne point leur ressembler ; mais, comme les couleurs lui manquent, il va d’une hyperbole à une autre, et finit par perdre entièrement le sens du vrai et du possible. S’il veut donner une idée de la beauté des deux amants, il montre tous les peuples prosternés devant eux, et les adorant comme les dieux. Pour mieux éprouver leur vertu et intéresser à leurs maux, il invente de bizarres supplices. » En somme, le livre de Xénophon d’Éphèse ne mérite guère d’être lu, même dans le français excellent de son dernier traducteur. Cela est sec, comme l’avoue le traducteur lui-même, et pauvre d’idées, et d’un intérêt plus que médiocre, et digne enfin de ces arrangeurs de mots qui pullulaient dans les derniers siècles de la Grèce.


Aristénète.


Aristénète, qui est du cinquième ou du sixième siècle, est un sophiste, ou, si l’on veut, un romancier, dans le genre d’Alciphron. Ses Lettres sont des contes amoureux, ou plutôt des exercices de style sur des sujets érotiques. Il ne faut chercher, dans ces compositions sophistiques, que ce qu’y a voulu mettre l’auteur, c’est-à-dire des phrases assez habilement construites, pleines d’ornements d’un goût suspect et de locutions empruntées aux poëtes. Aristénète est un déclamateur sans talent. Ses amoureux sont des fous de sens ras-