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CHAPITRE IV.

dans les deux poëmes sont plus perfectionnés dans l’un que dans l’autre ? nullement. Lisez par exemple, dans l’Iliade, la description du palais de Priam on celle du bouclier d’Achille ; et dites s’il y a rien, dans toute l’Odyssée, même les plus rares merveilles d’Ithaque, ou de Sparte, ou de Schérie, d’où il faille inférer ou un développement plus complet de l’industrie humaine ou une exécution plus habile et plus brillante. Les navires qui avaient porté de Grèce en Asie l’innombrable armée commandée par Agamemnon prouvent que la navigation n’était pas chose nouvelle dès le temps de la guerre de Troie, ni par conséquent les explorations de terres plus ou moins lointaines, et que le poëte de l’Iliade, en quelque temps qu’il ait vécu, a pu, si telle était sa fantaisie, composer une épopée de marchands, comme on dit, et de voyageurs aventureux. Au dixième siècle avant notre ère, quand chantait le poëte de l’Iliade, il y avait des centaines d’années déjà que les Argonautes avaient accompli leur aventureux voyage et conquis la Toison d’or.

La confrontation impartiale des deux poëmes, dans ce qui tient aux arts de toute sorte, est donc la condamnation des chorizontes. L’Iliade et l’Odyssée se complètent l’une l’autre, mais ne se contredisent pas. Quant au caractère d’archaïsme signalé dans l’Iliade, c’est chose purement imaginaire. Il n’y aurait aucune témérité à défier tous les philologues du monde d’établir la soi-disant diversité lexicologique sur autre chose que des illusions et des systèmes préconçus. Les traces d’éolisme ne sont pas moins sensibles dans l’Odyssée que dans l’Iliade ; et l’ionien futur germe également, si j’ose ainsi parler, dans l’un et l’autre poëme. L’Iliade et l’Odyssée, et l’une autant que l’autre, sont écrites en achéen, dans le dialecte intermédiaire entre la langue éolique et la langue ionienne.

Mais le style, les tours de phrase, l’ordre et le mouvement des pensées ! mais la versification ! mais les formules consacrées ! mais les épithètes traditionnelles ! C’est là ce que les chorizontes négligent de comparer dans les deux poëmes ; et c’est là le point où éclate le plus manifestement la ressemblance. Cent vers pris au hasard dans l’un ne ressemblent