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HOMÈRE.


Les héroïnes d’Homère.


Ce que je dis d’Ajax, je pourrais le dire de bien d’autres, et à des titres non moins justes, mais surtout des femmes dont Homère a peint les gracieuses images. Hélène, par exemple, c’est la beauté ; c’est aussi une épouse coupable, ou plutôt c’est une victime de l’amour.

Voici comment Homère caractérise la beauté d’Hélène : « Cependant les anciens du peuple, Priam, et Panthoüs, et Thymœtès, et Lampus, et Clytius, et Icétaon, rejeton de Mars, et Ucalégon et Anténor, tous deux sages, étaient assis au-dessus des portes Scées. Ils avaient renoncé aux combats à cause de leur vieillesse ; mais ils étaient bons discoureurs, semblables à des cigales qui, posées sur un arbre dans la forêt, font entendre une voix harmonieuse. Tels étaient les chefs troyens assis sur la tour. Dès qu’ils aperçurent Hélène, qui s’avançait vers la tour, ils s’adressèrent mutuellement à voix basse des paroles volantes : « Il ne faut pas s’indigner que les Troyens et les Achéens à la forte armure souffrent tant de maux depuis si longtemps pour une telle femme : elle ressemble étonnamment de visage aux déesses immortelles[1] ! »

La femme coupable et repentante, mais soumise par faiblesse au joug de l’amour, n’est pas marquée par le poëte de traits moins profonds et moins heureux. Priam ne l’accuse point d’être la cause de la guerre : il se résigne à la volonté des dieux qui ont armé les Grecs contre Ilion ; il se montre affectueux et bon pour Hélène. Mais, si Priam lui pardonne, elle-même ne se pardonnera pas ; et, quand le vieillard lui demande le nom d’un guerrier qu’il aperçoit du haut de la tour, elle répond : « Tu me remplis, cher beau-père, de respect et de crainte. Ah ! que n’ai-je préféré une mort funeste, quand j’ai suivi ton fils en ces lieux, abandonnant ma couche nuptiale, et mes frères, et ma fille chérie, et mes aimables compagnes d’enfance ! Mais il n’en a rien été !

  1. Iliade, chant III, vers 146 et suivants.