Page:Pinot Duclos - Œuvres complètes, tome 1.djvu/173

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contradiction qu’éprouvent leurs volontés ou leurs fantaisies. Il faut convenir qu’ils ont souvent occasion de connoître les hommes, d’apprendre à les estimer peu, et à ne pas compter sur eux. Ils savent qu’ils sont plus assiégés par intérêt, que recherchés par goût et par estime, même quand ils en sont dignes. Ils voient les manœuvres basses et criminelles que les concurrens emploient auprès d’eux les uns contre les autres, et jugent s’ils doivent être fort sensibles à leur attachement. Quoique l’adulation les flatte, comme si elle étoit sincère, le motif bas ne leur en échappe pas toujours, et ils ont l’expérience de la désertion que leurs pareils ont éprouvée dans la disgrâce. Un peu de défiance est donc pardonnable aux gens en place, et leur amitié doit être plus éclairée, plus circonspecte que celle des autres.

Si le mérite et l’amitié donnent si peu de part au crédit, il ne sera plus qu’un tribut payé à l’intérêt, un pur échange dont l’espérance et la crainte décident et sont la monnoie. On ne refuse guère ceux qu’on peut obliger avec gloire, et dont la reconnoissance honore le bienfaiteur : cette gloire est l’intérêt qu’il en retire. On refuse encore moins ceux dont on espère du retour, parce que cette espérance est un intérêt plus sensible à la plupart des hommes ; et l’on accorde