Page:Pinot Duclos - Œuvres complètes, tome 1.djvu/30

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quelle manière Collé prétend que Duclos réfutoit l’objection : S’il y avoit eu une académie romaine, auroit-on refusé d’y admettre Virgile, Horace et Ovide, les deux premiers parce qu’ils ont fait, l’un des églogues et l’autre des odes un peu libres, et le dernier parce qu’il a composé l’Art d’aimer et d’autres poésies licencieuses ? La postérité trouveroit-elle aujourd’hui ces raisons suffisantes ? Si vous n’en avez point d’autres que celles-là pour donner l’exclusion à Piron, je ne les crois pas assez fortes. Je le dis d’une façon d’autant plus désintéressée que moi personnellement je n’aime point Piron ; mais j’estime ses ouvrages à beaucoup d’égards[1].

On aurait tort de conclure de cette apologie de Piron, que Duclos avoit du goût ou seulement de l’indulgence pour les productions obscènes. Un auteur ayant envoyé au concours de 1768 une pièce de vers du genre et même du style le plus licencieux, et ayant eu l’impudence de se faire connoître, Duclos lui écrivit une lettre très-forte pour lui dire que cette fois l’académie vouloit bien ne pas le dénoncer à la police, et lui épargner le châtiment qu’il méritoit.

Jaloux de l’honneur de cette académie, il vouloit avec raison qu’on y admît l’auteur de la Métromanie, malgré le tort de son ode, et le tort plus grave encore, littérairement parlant, d’un grand nombre d’ouvrages de mauvais goût ; mais il s’opposoit de toutes ses forces à ce qu’on y reçût de ces hommes frappés de nullité, qui croient mériter l’académie parce qu’il y a long-temps qu’ils y aspirent, à peu près comme un soldat, sans avoir fait campagne, gagne les Invalides, parce qu’il est devenu vieux. Quelqu’un sollicitoit des voix pour l’abbé Trublet : Il y a tant d’années, disoit-il, qu’il est sur les rangs sans arriver, qu’il en est tombé malade. L’académie, répondit Duclos, n’a point été établie pour les incurables[2]

  1. Journal historique de Collé, pag. 247. M. Abeille pense que Duclos n’a pas pu tenir ce discours, qui auroit prouvé de sa part une ignorance totale des mœurs des anciens. En effet la licence des discours et des écrits n’étoit pas chez eux au même degré de blâme et de mépris que parmi nous ; et leurs poëtes les plus chastes sont quelquefois très-obscènes. Le lecteur prononcera.
  2. On rapporte un autre trait tellement semblable à celui-ci pour le fond que ce pourrait bien être le même, avec quelques changement dans les circonstances. M. de Bougainville, dit-on,