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FRANCISATION DE L’ADMINISTRATION

cien Régime à la Révolution. En un an, elle reçut passivement du Directoire l’organisation que la France avait mis sept ans à se donner au milieu des péripéties tragiques de la guerre civile et de la guerre étrangère. Tout le passé national était balayé : circonscriptions, coutumes, autorités, institutions politiques, judiciaires, administratives, ecclésiastiques, et la vie sociale comme la vie religieuse fut atteinte en son fond. On ne se reconnaissait plus dans son propre pays. Jamais un bouleversement aussi complet et une refonte aussi totale ne s’accomplirent en un temps aussi court.

Pourtant, la transformation était moins frappante par la nouveauté de ses principes que par la rigueur, le radicalisme et la rapidité de leur application. Ce qui triomphait, c’était ce « Joséphisme » contre lequel six ans plus tôt, la Belgique s’était insurgée. Dans l’État comme dans l’Église, l’œuvre de la Révolution continuait et achevait celle de l’Empereur. Elle reprenait pour ainsi dire les mêmes thèmes, mais combien amplifiés ! Toutes les réformes qu’elle imposait, Joseph avait songé avant elle à les introduire. N’avait-il pas voulu substituer des cercles aux provinces, refondre et régulariser le fonctionnement des institutions, soumettre le clergé au contrôle du gouvernement, instaurer la tolérance religieuse, faire même du mariage un contrat civil[1] ? Les droits de l’homme l’emportaient là où le despotisme éclairé avait échoué.

Mais ce que Joseph avait tenté de faire, il l’avait fait comme souverain légitime des Belges et en vertu de ses prérogatives constitutionnelles. Il n’avait pas prétendu « austriaciser » ses sujets, et si maladroitement qu’il s’y fût pris, il n’avait cessé de se conduire, à leur égard, en « prince naturel », discutant la portée de leurs libertés sans en nier l’existence et cherchant à les amener, par les voies légales, à accepter ses réformes. Maintenant, au contraire, on n’avait plus qu’à subir la loi et à se laisser assimiler à une constitution étrangère. Proclamés Français, les Belges devaient nécessairement passer sous le régime que la France avait fait pour elle et non pour eux.

  1. Voy. Histoire de Belgique, t. V, 2e édit., p. 381 et suiv.