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LA BOURGEOISIE ET LA RÉVOLUTION

la bourgeoisie a exercée en France au début de la Révolution, elle l’a aussi exercée en Belgique. Les Proli et les Walckiers ont applaudi aux nouveautés de 1789, et il n’a pas tenu à eux qu’elles ne fussent proclamées à Bruxelles comme elles l’étaient à Paris. Mais le rapport des forces en conflit n’était pas le même ici et là. En France, les partisans du mouvement étaient les plus forts ; en Belgique, ils furent les plus faibles. La Révolution brabançonne a rapidement tourné, on le sait suffisamment, au profit des conservateurs. À l’envisager du point de vue économique, on pourrait dire qu’elle marque la victoire momentanée et sans lendemain des artisans privilégiés et des grands propriétaires sur les industriels et les entrepreneurs capitalistes.

Il ne faut donc point s’étonner si l’on voit, en 1792, presque tous ces industriels et ces entrepreneurs saluer avec enthousiasme la victoire de Jemappes. La jouissance des droits de l’homme leur promettait la libre expansion de leurs facultés dans une société rendue à son équilibre naturel et débarrassée des survivances de la féodalité et des privilèges. Liberté politique et liberté économique, indispensables l’une à l’autre, allaient se développer de conserve. Le triomphe de la Révolution devait ouvrir l’âge d’or… Il n’ouvrit tout d’abord qu’une crise épouvantable.

Car il mettait fin à cette longue paix qui avait été la condition première du relèvement du pays et grâce à laquelle la bourgeoisie s’était enrichie. De 1792 à 1795, la Belgique ne devait plus cesser d’être foulée et rançonnée par les armées fluant et refluant sur elle, soit de France, soit d’Allemagne. La première occupation, aussi longtemps du moins qu’elle fut dirigée par Dumouriez, n’altéra pas très sensiblement la fortune nationale. Le vainqueur s’efforça de ménager la population : elle ne souffrit que du minimum des maux que la guerre entraîne nécessairement avec elle. Il y eut des réquisitions et des impositions, mais elles furent compensées par l’argent que les armées introduisaient dans le pays. Il semble même que la fourniture des subsistances et des équipements militaires fut pour beaucoup de spéculateurs une source