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INTRODUCTION

pensée européenne, et elle prétend la réaliser non seulement à son profit, mais au profit de tous les peuples. Et, en effet, dans la mesure même où elle s’en est inspirée, ils en ont tous subi l’influence ; tous jusqu’aujourd’hui, et la Belgique plus qu’aucun autre, en portent encore la marque. À cet égard, il en est de la Révolution comme du protestantisme. Comme lui, elle est la manifestation d’un mouvement général d’idées et de sentiments ; pas plus que lui, en ce qu’elle a d’essentiel, elle n’est l’œuvre d’une race. Il serait plus faux encore d’y voir un phénomène roman que de voir dans la Réforme un phénomène germanique. Elle-même, d’ailleurs, a eu clairement conscience de cette universalité de ses tendances et de ses principes. Au lieu de se rattacher au passé national, elle se glorifie de rompre avec lui si complètement qu’elle se considère comme le point de départ d’une ère nouvelle. Prétendant s’appliquer à tous les hommes, elle n’a pas voulu être seulement française, mais en dépit d’elle-même elle l’est devenue, et son caractère national a été en se développant sans cesse au détriment de son caractère cosmopolite. C’est que les circonstances ont obligé les Français à la défendre en se défendant eux-mêmes, à en faire leur bien propre, à confondre leurs destinées avec les siennes, bref à la nationaliser et en la nationalisant à la dénaturer.

Qu’était-elle au début ? Une tentative de remanier l’État et la société conformément à ce rationalisme qui porte en Allemagne le nom d’Aufklärung et en France celui de philosophie. Et il apparaît clairement qu’en ceci, elle ne fait que s’avancer plus loin dans la voie où se sont engagés avant elle, en Prusse, Frédéric II et, en Autriche comme en Belgique, Joseph II. Le programme de l’Assemblée nationale et de la Constituante se confond en grande partie avec celui du « despotisme éclairé ». Pour le réaliser, il n’était nullement besoin d’une révolution, la monarchie absolue y suffisait. On oublie peut-être trop qu’en France même, elle avait déjà accompli, avant 1789, bien des réformes caractéristiques. Il suffira de rappeler ici, durant le règne de Louis XVI, la suppression du servage dans le domaine royal, l’égalité civile accordée aux