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LA NOUVELLE BARRIÈRE

mément à la Joyeuse Entrée, la réalité du pouvoir. Ils voulaient l’autonomie nationale, mais ils la voulaient comme les Statistes de 1790, à la condition d’en être les maîtres.

Dès le 20 février 1814, une députation aristocratique conduite par le duc de Beaufort, s’était rendue à Chaumont, au quartier général des alliés et y avait été admise en présence de François Ier[1] et de lord Castlereagh. Elle était rentrée à Bruxelles découragée. L’empereur ne lui avait pas caché que les circonstances ne lui permettaient ni de reprendre la Belgique ni de la confier à un archiduc. Au reste, il avait affecté le-plus grand zèle pour ses anciens sujets. Et lord Castlereagh avait encore ajouté à l’eau bénite de cour qu’il leur avait prodiguée. Il ne les avait congédiés qu’après les avoir assurés de la sollicitude des Puissances. Elles ne songeaient, à l’en croire, qu’à leurs intérêts et à les doter d’un gouvernement « sage et libéral », plein de respect pour leur indépendance, leur religion et leurs finances. Et il leur laissait entendre que pour leur garantir tant de félicité, elles les uniraient à la Hollande[2].

Les députés en purent à peine croire leurs oreilles. Ainsi, non seulement l’empereur les abandonnait, mais ce qu’il trouvait de mieux pour les dédommager, c’était de les faire passer sous le pouvoir d’un prince protestant, et de confier leur sort à ces Provinces-Unies qui, en 1648 avaient ruiné la Belgique par la fermeture de l’Escaut, qui, en 1715, lui avaient infligé l’humiliation du traité de la Barrière et dont l’hostilité constante et la jalousie n’avaient cessé d’entraver depuis lors toutes ses tentatives de relèvement[3]. Le plan qu’on leur dévoilait froissait à la fois leurs sentiments catholiques et leurs sentiments nationaux. Le clergé, dès qu’il en eut connaissance, exprima publiquement ses alarmes. À peine débarrassé du Concordat, allait-il passer sous le joug d’un hérétique ? Que lui parlait-on d’un gouvernement

  1. À partir de la disparition du Saint-Empire Romain de nation germanique et de son remplacement par l’Empire d’Autriche, en 1804, le souverain qui, dans le premier s’était appelé François II, devint François Ier dans le second.
  2. Gedenkstukken 1813-1815, p. 88 et suiv., 522 et suiv.
  3. Histoire de Belgique, t. V, 2e édit., p. 192, 236, 276.