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LA NOUVELLE BARRIÈRE

C’est au milieu de cette agitation que le baron Vincent, désigné par François Ier, vint remplacer Horst au gouvernement (5 mai 1814). Lord Castlereagh avait conseillé ce changement de personnes. Il s’inquiétait de voir Horst agir trop ouvertement en faveur de la Prusse, et sans doute espérait-il aussi que la présence d’un Autrichien ramènerait quelque calme dans les esprits. Elle ne devait d’ailleurs influer en rien sur le régime imposé à la Belgique. Les instructions remises par Metternich au nouveau gouverneur lui recommandaient de tirer le plus grand parti possible du pays « pour les moyens militaires », et de faire entendre aux Belges que dans aucun cas ils ne pourraient retourner à leur ancienne constitution »[1]. Furieux de l’arrivée d’un successeur qui ne prenait sa place que pour ôter à la Prusse « ses avantages dans ce pays et la brouiller avec l’Angleterre »[2], Horst prit congé de la population en se recommandant avec une lourde ironie à son souvenir, et en se déclarant « heureux d’avoir été témoin de sa prospérité »[3]. Au reste, on ne s’aperçut pas de son départ. Les réquisitions des troupes revenant de France se substituèrent sans rien y changer, à celles qu’elles avaient imposées en s’y dirigeant. Le pays continua de servir d’aliment à leur appétit. Vincent se contenta du rôle de figurant auquel il était destiné. Il savait bien que le sort de la Belgique serait tranché dans quelques semaines et qu’il n’avait jusque-là qu’à tenir en respect « les gens d’un pays où l’on a trop la manie des affaires publiques pour que l’autorité ne courre pas le risque de se trouver placée entre le choc des prétentions démocratiques et des réminiscences des constitutions également dangereuses à réveiller. » Il observait avec curiosité les mouvements désordonnés du patriotisme anarchique qui se manifestaient autour de lui, n’y voyant que des prétentions « d’isolement et de provincialisme » et, en diplomate de cabinet, s’étonnant de « l’exubérance des prétentions nationales de la Belgique »[4].

  1. Gedenkstukken 1813-1815, p. 329, 331, 334.
  2. Ibid., p. 306.
  3. Journal officiel du gouvernement de la Belgique, t. I, p. 273.
  4. Gedenkstukken 1813-1815, p. 335 et suiv.