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L’INSTALLATION DU RÉGIME

dans l’idée que la manière forte qui lui avait si bien réussi, était la vraie manière d’en agir avec l’opposition.

Il se flattait d’ailleurs de l’avoir appliquée à la presse avec autant de succès qu’à l’Église. Tous les journaux qui s’étaient permis de critiquer sa conduite ou même seulement de la discuter, avaient été impitoyablement poursuivis. En fait, la presse était soumise à l’arbitraire. Car si l’arrêté draconien qui l’avait régie depuis 1815 avait été, le 6 mars 1818, remplacé par une loi, celle-ci n’en continuait pas moins à taxer de délit toute tentative malveillante d’exciter l’opinion. Et les accusés se trouvaient dans une situation d’autant plus redoutable que le jury étant aboli, ils ne relevaient que de tribunaux enclins à témoigner au pouvoir une complaisance que l’absence de l’inamovibilité explique aisément. Aussi de 1816 à 1821, une véritable persécution s’était-elle abattue sur la presse et plus spécialement sur la presse catholique. Des procès retentissants aboutissaient à des condamnations exemplaires. En 1817, l’abbé de Foere, appréhendé au seuil de son église, subissait deux années d’emprisonnement pour avoir attaqué, dans le Spectateur Belge, les « absurdes prétentions antireligieuses du gouvernement »[1]. En 1820, un ouvrage de F. van der Straeten sur l’organisation défectueuse du royaume attirait à son auteur une amende de 3000 florins, et ses avocats, coupables d’avoir défendu leur client avec trop d’énergie, étaient arrêtés et suspendus[2]. D’autres poursuites furent intentées au Journal de la province d’Anvers, au Journal de Gand, au Flambeau, au Vrai Libéral, etc.

L’abolition du régime de 1815 n’avait donc eu pour conséquence que de soumettre la presse à la surveillance des tribunaux. Il était loisible à chacun de publier un journal à condition de n’y rien dire qui pût offusquer les autorités. Rien d’étonnant si, sous un tel régime, les organes de l’opinion catholique cessèrent de paraître ou se confinèrent dans une peureuse insignifiance. Seuls les journaux libéraux conservèrent le droit de

  1. De Gerlache, op. cit., t. I, p. 332.
  2. P. Bergmans, Un patriote belge d’avant 1830. Ferdinand van der Straeten. Bullet, de la Soc. Hist. de Gand, 1923.