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LA BELGIQUE DE 1815 À 1830

C’est qu’il ne suffit pas d’instruire un peuple pour transformer ses idées. L’école augmente ses facultés d’agir sans qu’elle puisse diriger son action. Le rendant plus capable, elle le rend plus utile ou plus redoutable, selon l’usage qu’il fera des ressources qu’elle lui a fournies. Elle ne peut seconder les vues de l’État que si l’éducation qu’elle donne à l’intelligence s’accorde avec cette autre éducation plus intime et plus prenante que chacun reçoit au sein du milieu où il est né, des croyances, des traditions, des besoins et des penchants héréditaires en quoi consiste sa vie sentimentale et inconsciente. Or, si cet accord existait en Hollande, il n’existait pas en Belgique. Au cours si divergent de leur histoire, la nature des deux peuples s’était trop profondément différenciée pour qu’il fût possible d’effacer cette différence en appliquant à l’un d’eux un système d’enseignement qui répondait au caractère de l’autre. Le roi eut beau multiplier les écoles, veiller à la formation des instituteurs, faire venir de Hollande et d’Allemagne de très savants hommes pour occuper les chaires des universités, il ne réussit qu’à perfectionner, si l’on peut ainsi dire, l’outillage pédagogique du pays. Les idées échappèrent à son emprise. Son œuvre, dont il était fier à juste titre et qui constitue un progrès si éclatant sur celle de l’Université impériale, se borna à répandre dans le peuple et dans la bourgeoisie des connaissances techniques sans influer sur leur attitude morale.

C’est précisément parce qu’il ne parvint pas à comprendre cette attitude qu’il se trompa complètement sur les moyens qu’il eût fallu appliquer pour réussir. Jugeant la Belgique du point de vue de la Hollande et de l’Allemagne, il la considérait simplement comme un pays arriéré que le clergé conservait de parti pris dans l’ignorance. Et il est incontestable qu’elle ne justifiait que trop bien ce mépris aux yeux des Hollandais. Tout les y choquait : le peuple regorgeant d’illettrés, la bourgeoisie n’ayant d’autre lecture que les journaux, les prêtres réduits au dressage des séminaires et ne sachant de latin que ce qu’il en faut pour dire la messe, l’aristocratie dédaigneuse de toute curiosité intellectuelle. Où que l’on regardât, nul