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APPEL DU ROI À LA PRUSSE

Mais quelle décision le roi va-t-il prendre ? Il en cherchait une sans la trouver. Cet obstiné n’était pas un volontaire. Écrasé par le sentiment de ses responsabilités envers l’Europe et envers son peuple, blessé dans son amour-propre, doutant pour la première fois de lui-même, il hésite et semble atterré. « Il n’a plus son air d’assurance, son air moqueur. On voit qu’il se sent humilié ; il est entièrement à bas »[1]. Un instant, au début des troubles, il avait compté sur l’aide de la Prusse. Le 28 août il suppliait Frédéric-Guillaume d’intervenir. Sans doute, il n’ignore pas que si l’armée prussienne entre dans les Pays-Bas, l’armée française y entrera aussi. Mais une guerre générale tranchera la question qu’il n’ose résoudre. Il se persuade qu’il appartient aux Puissances qui lui ont donné la couronne de le défendre à l’heure du péril.

Cependant la Prusse ne marchera pas sans l’Angleterre et l’Angleterre est résolue à ne pas marcher. Wellington ne veut ni rompre avec Louis-Philippe ni, à la veille des élections dont dépend son ministère, provoquer l’opinion libérale qui se prononce avec force en faveur des Belges. S’il refuse au cabinet de Paris d’entreprendre une action commune pour amener Guillaume à céder, il est pourtant décidé à ne pas tirer l’épée en sa faveur. D’ailleurs il ne croit pas que les Belges iront jusqu’à braver l’Europe et il ne les prend pas au sérieux. « Messieurs les Bruxellois, dit-il en riant, connaissent les traités aussi bien que nous, et ils ne voudront pas se faire conquérir et soumettre par les Puissances alliées »[2].

Ils ne le voulaient certainement pas, mais ils le craignaient encore moins. Confiants dans l’aide immanquable de la France en cas de conflit, l’idée d’une guerre générale ne les effrayait pas plus qu’elle n’effrayait le roi. Si souvent, au cours des siècles, le sort de la Belgique avait dépendu des rivalités internationales ! Pourquoi devraient-ils sacrifier leur liberté à la paix du monde ? Il ne tenait qu’à Guillaume de la sauvegarder en leur faisant justice. D’ailleurs, il lui fallut bientôt se résigner

  1. Gedenkstukken 1830-1840, t. III, p. 153.
  2. Ibid., t. I, p. 13.