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LES JOURNÉES DE SEPTEMBRE

dans sa patrie ». On ne peut guère douter qu’il n’agit ainsi que par nécessité. Il était évident que de Potter n’avait pas besoin de cet appel et qu’il fallait s’attendre d’un jour à l’autre à le voir arriver à Bruxelles paré du prestige qui, depuis son exil, l’avait transformé en héros national. En se l’associant, les membres du Gouvernement provisoire assuraient leur existence et les moyens d’accomplir leur mission. Sans lui, ils ne pourraient rien. Avec lui, ils disparaîtraient sans doute, éclipsés par son rayonnement, mais du moins conserveraient-ils les apparences du pouvoir en attendant le moment de le ressaisir. L’habileté eut autant de part que le désintéressement dans leur conduite. Ils ne pouvaient se faire d’illusions : ou de Potter ferait partie avec eux du Gouvernement provisoire, ou il s’emparerait de la dictature. Car lui seul s’imposait à tout le pays et possédait assez d’autorité pour entraîner derrière lui toute la nation. Brugeois, il était aussi populaire à Bruxelles et à Liège, qu’à Bruges même ; libre-penseur, il jouissait de la confiance des catholiques ; démocrate, il s’imposait au « jacobinisme » des jeunes libéraux et soulevait l’enthousiasme de la foule. Son entrée à Bruxelles, le 28 septembre, fut aussi triomphale que l’avait été, en 1577, celle de Guillaume le Taciturne[1].

Depuis la frontière française il avait voyagé au milieu des acclamations, harangué par les magistrats, bombardé de fleurs, escorté par les volontaires. À Ath, sa vue avait électrisé la population au point qu’elle s’était aussitôt jetée sur la citadelle et s’en était emparée. Quand il arriva le soir à la porte d’Anderlecht, ce fut du délire. La foule traîna sa voiture à travers les rues jusqu’à l’hôtel de ville où l’attendaient les membres du Gouvernement provisoire. Pour se sentir leur maître, il n’avait qu’à écouter le bruit des vivats qui le saluaient. Dès le lendemain, il s’arrogeait le droit de parler en leur nom et de leur attribuer ses sentiments. Le manifeste qu’il fit répandre se terminait par ces mots : « Il faut vivre libres ou nous ensevelir sous des monceaux de ruines. Liberté pour tous, égalité de tous devant

  1. Histoire de Belgique, t. IV. 2e édit., p. 103.