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JEMAPPES

au Conseil d’État. Au milieu de tant de déboires et de résistances, la patience de l’archiduc Charles commençait à se lasser. Dès la fin du mois d’août, il pensait à recourir à la force. On parlait dans son entourage d’arrêter « sans bruit » le comte de Mérode. L’exaspération n’était pas moindre au sein des États et elle s’exprimait sans ménagement. Le comte de Limminghe s’emportait jusqu’à déclarer que « le retour des carmagnoles était préférable aux vexations actuelles »[1]. On disait publiquement que « Sa Majesté n’aime pas ce pays », qu’elle n’a rien oublié et qu’elle le fera bien voir quand elle reviendra victorieuse de la guerre de France[2]. Au lieu de se réjouir des succès remportés par les Autrichiens, on n’y puisait qu’un motif d’inquiétude. Ne voyait-on pas le gouvernement administrer les parties des départements du Nord que ses troupes venaient d’envahir, suivant les principes du despotisme éclairé[3] ? Aussi, loin de s’intéresser à la conduite des opérations militaires, l’opinion comme les autorités montraient-elles à leur égard la mauvaise volonté la plus évidente. Les États refusaient d’aider à la levée de recrues. Ils réclamaient l’organisation d’une armée nationale et rien n’atteste mieux la tension de leurs rapports avec le gouvernement que l’obstination de celui-ci à s’y opposer. Vainement, il faisait appel au sentiment religieux pour fléchir une résistance qui l’exaspérait. Des manifestes montraient aux Belges, en François II, le sauveur de la religion contre les « ennemis communs du genre humain ». Qu’arriverait-il si « les trois couleurs, ce symbole actuel de l’impiété, venaient à reparaître dans nos contrées et à y remplacer le religieux lion »[4] ? La défiance était devenue telle que ces objurgations restaient sans force. Seuls, ou à peu près, des monastères et quelques agents du gouvernement participèrent aux souscriptions ouvertes en faveur des troupes.

  1. P. Verhaegen, La Belgique sous la domination française, t. I, p. 277.
  2. Bulletin de la Commission Royale d’Histoire, loc. cit., p. 266.
  3. G. Lefebvre, Les paysans du Nord pendant la Révolution française, p. 549 (Lille, 1924).
  4. Adresse aux Flamands. (Gand, 1793.)