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LA RÉUNION

dissait, et n’y rien tolérer qui la différenciât d’elle-même. Le pays n’était plus désormais qu’une partie indivisible de la France. Son nom même disparaissait. À la place des Pays-Bas autrichiens et du pays de Liège, il n’y avait plus que neuf « départements nouvellement réunis ». On disait encore la Belgique comme on disait la Champagne ou la Bourgogne : le mot perdait sa signification nationale pour ne plus être qu’une expression géographique.

En transformant les Belges en citoyens français, le décret du 1er  octobre les dotait de tous les droits politiques de ceux-ci. Mais versés dans un peuple de trente millions d’hommes, quelle action seraient-ils à même d’exercer sur le gouvernement et sur la législation ? Minorité perpétuelle, ils ne pourraient que les subir sans qu’il leur fût même loisible de protester puisqu’ils seraient censés y collaborer. En théorie, ils participaient à la souveraineté du peuple français ; en fait, elle leur était imposée. Depuis des siècles et sous l’influence du voisinage, de la ressemblance des mœurs, des relations économiques, la langue et la civilisation de la France avaient largement rayonné sur la Belgique. La francisation obligatoire allait y remplacer la francisation spontanée et volontaire.

Ainsi la Belgique était effacée de la carte de l’Europe et son histoire paraissait s’achever avec celle de l’Ancien Régime. Mais la République aurait-elle pu la traiter autrement qu’elle ne le fit ? La partager avec la Hollande, comme les États-Généraux de La Haye le proposèrent un instant, c’eût été donner à la République Batave une puissance incompatible avec la sécurité de la France. La soumettre au protectorat sans lui ravir l’indépendance paraissait plus réalisable. Cette solution aurait répondu au vœu de la très grande majorité des Belges et quelques députés la recommandèrent à la Convention. Mais il était évident qu’une Belgique libre eût adopté aussitôt une attitude hostile à la France et fût devenue contre elle une base d’opérations politiques et militaires au profit de l’Angleterre et de l’Autriche. Était-il possible d’ailleurs de l’évacuer sans abandonner en même temps la ligne du Rhin ? Et puis quel avantage sa possession