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LA RÉUNION

la guerre, mais toutes deux aussi eurent pour résultat une transformation profonde et durable du pays et du peuple. La Belgique romanisée et civilisée du IIIe siècle diffère autant de la Belgique décrite par César, que la Belgique modernisée, centralisée, unifiée et uniformisée de 1814 diffère des Pays-Bas autrichiens et du pays de Liège, avec leur bigarrure de provinces à demi souveraines et l’infinie diversité de leurs privilèges, de leurs institutions et de leurs coutumes. Au début de notre ère comme au commencement du XIXe siècle, la conquête marqua la physionomie du pays de traits ineffaçables. À travers tout le moyen âge, les diocèses de la Belgique perpétuèrent les circonscriptions des « cités » romaines, et de nos jours, il suffit d’un coup d’œil jeté sur la carte du royaume pour y découvrir, sous les provinces, les départements français de l’an IV.

La division départementale, imposée par la nécessité d’emboîter le pays dans l’administration française, réalisa du même coup l’indissoluble union du pays de Liège à la Belgique. En les répartissant dans les mêmes cadres, elle effaça définitivement les frontières qui, durant des siècles, les avaient séparés. L’histoire avait agi contre la nature en maintenant sous des princes différents leurs populations enchevêtrées que tout portait à se confondre. Elle avait fait naître entre elles des conflits et accusé des contrastes d’institutions et d’idées qui agissaient au rebours de leurs affinités naturelles et de la communauté évidente de leurs intérêts. Après l’échec des tentatives des ducs de Bourgogne pour englober le pays de Liège dans leurs possessions, la politique habile de Charles-Quint avait amené une entente à laquelle les troubles du XVIe siècle, puis la diplomatie française avaient mis fin. La France avait trop grand besoin de posséder une base d’action dans les Pays-Bas pour ne pas avoir très habilement cherché à conserver les Liégeois sous son influence. Ainsi la politique étrangère contribua largement à entretenir un état de choses dont elle profitait. Mais la crise révolutionnaire qui, à la fin du XVIIIe siècle, avait également secoué les Belges et les Liégeois, les avait en même temps rapprochés. Durant la