Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 7.djvu/117

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ou si l’on préfère les questions sociales, leur étaient un nouveau motif d’entente.

Entre ces hommes que rassemblaient la communauté des conceptions politiques et la communauté des intérêts, si pourtant une rupture s’est accomplie si complète, si violente, si décisive, qu’elle a semblé parfois mettre en péril l’existence même de la nation, c’est que l’idée que les uns et les autres se faisaient de la destinée humaine était incompatible. J’emploie à dessein ce grand mot qui contraste cruellement avec la mesquinerie et l’étroitesse trop souvent répugnantes des luttes dont seul néanmoins il peut expliquer le furieux déchaînement. Entre catholiques et libéraux belges, le conflit se manifesta en réalité au xixe siècle pour des causes et sous des formes parfois analogues à celles qui avaient déchaîné et entretenu au xvie siècle le conflit entre gueux et papistes. C’est une guerre de religion ou tout au moins une guerre confessionnelle.

Comme alors, en effet, tout le débat se concentre sur l’Église. Instrument nécessaire du salut éternel pour les catholiques, et dès lors divinement revêtue du droit d’accomplir sans entraves sa mission supra-terrestre, elle n’est pour les libéraux qu’une institution humaine qu’il importe, sinon de soumettre au contrôle de l’État, du moins d’empêcher d’envahir le domaine réservé au pouvoir civil. Car lui aussi, ce pouvoir a sa mission qui consiste à garantir à tous les citoyens croyants ou incroyants, l’égale faculté non seulement de manifester, mais de réaliser leurs idées. En vertu de leur foi, les catholiques professent que la société religieuse est supérieure à la société laïque ; en vertu de leurs principes, les libéraux la considèrent comme une communauté particulière englobée dans cette société. Ainsi posé, le différend est insoluble suivant la constitution, puisque la constitution au lieu de définir les rapports entre l’Église et l’État s’est bornée à leur reconnaître à chacun la même liberté. Or, l’Église ne peut être libre que si l’État renonce à intervenir dans son domaine propre, et s’il y renonce, il lui sacrifie donc une partie de sa liberté.

À l’époque où nous sommes, la question n’apparaît pas encore, il est vrai, dans toute sa gravité. La très grande