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Lebeau au Congrès, plus on aura des élections aristocratiques »[1].

On avait cru sincèrement faire preuve de saine démocratie en adoptant un cens moins élevé que celui de la France et en le graduant de 20 à 30 florins dans les campagnes et de 50 à 80 dans les villes. Tandis que d’après la charte de Louis-Philippe il n’y avait qu’un électeur sur cent-soixante habitants, il y en avait un sur quatre-vingt-quinze d’après la constitution belge. À partir de 1839, le corps électoral comprit environ 50.000 personnes formant à elles seules le « pays légal ». Les constituants étaient persuadés que la fortune, théoriquement accessible à tous, ne pouvait passer pour un privilège. L’Ancien Régime ayant disparu, ils se figuraient qu’il n’y avait plus de classes parce qu’il n’y avait plus d’aristocratie, ou plutôt qu’il n’existait plus qu’une classe, la classe moyenne « représentant tous les intérêts, disait Leclercq, parce que tous en sortent ou y rentrent »[2].

Mais s’il est vrai que la bourgeoisie seule pouvait fonder des institutions libres, il ne l’est pas moins qu’il était impossible qu’elle ne s’identifiât pas à la nation et ne la confondît pas avec elle-même. De même qu’au xiie et au xiiie siècle les villes naissantes avaient naturellement passé sous l’administration d’une ploutocratie patricienne qui, peu à peu, les avaient exploitées à son profit[3], de même l’État constitutionnel du xixe siècle, irréalisable et inconcevable sans le caractère censitaire qu’il revêtit partout à ses débuts, devait forcément en arriver à se subordonner aux intérêts du seul groupe social qui y détenait le pouvoir. Comme celui des patriciens du Moyen Âge, son gouvernement devait avoir tous les mérites, mais aussi tous les défauts d’un gouvernement de classe. Y participant côte à côte, catholiques et libéraux, également censitaires, étaient aussi également intéressés à le maintenir, si bien que, loin de les opposer, la question,

  1. Huyttens, Discussions, t. II, p. 535.
  2. Huyttens, op. cit., t. II, p. 477.
  3. Histoire de Belgique, t. I, 5e édit. p. 377 et suiv.