Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 7.djvu/134

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ne nous laissons pas tromper par le mirage décevant qui nous les ferait apparaître dans le passé telles qu’elles s’opposent aujourd’hui. La seconde seule était consciente d’elle-même, le premier ne l’était pas. S’il sentait sa misère, il n’en distinguait pas les causes et s’y résignait. En outre, l’agriculture l’emportait encore de beaucoup sur l’industrie. Le peuple, c’était alors avant tout le peuple rural obéissant à l’Église et respectueux de la tradition. Entre lui et la minorité des prolétaires qu’épuisaient les fabriques, nulle entente n’était possible, ni même concevable.

Minorité au sein du peuple, la classe industrielle l’était aussi au sein du Congrès. Ce ne sont ni des usiniers, ni des financiers qui lui ont imposé ses décisions. À côté des propriétaires terriens, on y trouvait surtout des adeptes des professions libérales, des magistrats, des avocats et des prêtres. Presque tous les libéraux qui y exercèrent l’influence prépondérante appartenaient au barreau ou sortaient des universités. L’individualisme dont ils s’inspiraient dans l’ordre politique, leur apparaissait aussi comme la vérité dans l’ordre économique. À leurs yeux, la liberté donnée également à tous, permettait à tous d’arriver à tout. L’idée de distinguer des groupes sociaux parmi les hommes leur semblait monstrueuse et rétrograde. Un projet de représentation des intérêts dans les assemblées délibérantes fut repoussé comme s’inspirant de l’Ancien Régime, mais l’on repoussa de même la motion d’un maître de houillères de refuser aux ouvriers le droit de réunion. Si quelque chose ressort nettement de la lecture des délibérations du Congrès, c’est qu’il ne se laissa guider ni par l’intérêt du capitalisme, ni même par le simple intérêt de la bourgeoisie. Il légiféra pour la classe moyenne, c’est-à-dire pour cette partie de la nation à laquelle son idéalisme libéral lui faisait croire que tout citoyen était appelé à s’élever.

Sans doute, la classe moyenne reposait sur la propriété. Mais, depuis la disparition des privilèges, la propriété n’était-elle pas accessible à tous ? Pour cette génération grandie dans le culte des principes de 1789, ce n’est pas le peuple, c’est