Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 7.djvu/136

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Il faut reconnaître cependant que la bourgeoisie est bien loin de se laisser entraîner tout entière par cette orientation nouvelle et de confondre le progrès industriel avec le progrès social. En 1831, les missionnaires saint-simoniens trouvent parmi elle à Bruxelles et dans les principales villes du pays, des auditeurs enthousiastes[1]. Quantité de jeunes libéraux se laissent séduire par la grandeur et la générosité d’idées incompatibles cependant avec l’individualisme dont ils se réclament. Rogier, van Praet, Ducpétiaux, les frères Delhasse, Chazal, Quételet, etc., en reçoivent une empreinte dont tous, à des degrés divers, demeureront marqués parfois jusqu’au bout de l’existence. Elles inspirent, en 1832, à Weustenraed ses Chants du Réveil où Saint-Simon est salué comme « un Christ complété par Moïse et Platon », et où s’expriment avec une maladresse touchante une pitié profonde pour les misères du peuple et le rêve messianique d’un avenir transformé par les merveilles d’une industrie obéissant à la justice.

Les conférences de Victor Considérant en 1839 et à partir de 1845 attirèrent aussi vers les doctrines phalanstériennes l’attention de ceux que leur humanité ou leur esprit critique n’aveuglaient pas sur le sort lamentable d’un prolétariat croissant à mesure que le développement industriel s’affirmait davantage[2]. En 1840, Briavoinne se demande si la situation des travailleurs n’est pas en somme plus mauvaise qu’à la fin du XVIIIe siècle[3], et à la même date Masui, écrivant à Rogier, constate que « par suite des révolutions tout le monde a gagné ; l’ouvrier seul est resté isolé ; on n’a rien fait pour lui

  1. Sur la propagande saint-simonienne, voy. De Potter, Souvenirs personnels, t. I, p. 245 et suiv. ; E. Discailles, Charles Rogier, t. II, p. 27 ; L. Bertrand, Histoire de la démocratie et du socialisme en Belgique, t. I, p. 100 et suiv. (Bruxelles, 1906). Les Saint-Simoniens publièrent à Bruxelles pendant quelques mois un journal L’Organisateur belge dont le premier numéro porte la date du 29 mai 1831.
  2. E. Discailles, Victor Considérant en Belgique (Bulletin de l’Académie royale de Belgique. Classe des Lettres, 1895).
  3. Mémoire sur l’état de la population, etc., depuis Albert et Isabelle jusqu’à la fin du siècle dernier (Bruxelles, 1841).