Page:Pirenne – Histoire de Belgique – Tome 7.djvu/140

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lamentable, et l’insuffisance des moyens d’investigation dont elle avait été pourvue permet de croire que la réalité était bien pire encore[1].

Partout ou presque partout s’était révélée la disproportion du coût de l’existence, qui n’avait cessé de s’accroître depuis 1840, et de la rémunération du travail demeurée stationnaire, si même les patrons, pour pouvoir résister à la concurrence de l’étranger, n’avaient pas cru devoir la réduire. À Charleroi, on constatait que les salaires en étaient revenus aux taux de 1830, et l’on estimait qu’à Saint-Nicolas ils avaient diminué d’un quart au moins depuis la Révolution « à cause du malaise des fabriques ». De là, naturellement, l’insuffisance extrême de l’alimentation, du vêtement et du logement. En général, l’ouvrier ne vit que de pommes de terre, de pain noir et de café à la chicorée, auxquels s’ajoute parfois le dimanche un peu de viande ou de charcuterie. La chambre qu’il occupe dans une « caserne » ou la misérable maison qu’il loue à la semaine dans une « cité » ou dans un « bataillon carré » est un défi porté aux exigences les plus élémentaires de l’hygiène. La description du quartier de Batavia à Gand, amas de taudis serrés le long de ruelles immondes dans une atmosphère de fosses d’aisances, fait songer à un enfer. Aujourd’hui encore, ce qui subsiste dans les villes manufacturières des bâtisses construites à cette époque pour loger et pour exploiter la misère du prolétariat peut donner l’idée d’un état de choses qui a fait des mots ouvrier et indigent des termes synonymes. Dans le Borinage, pour économiser le combustible et le savon, les femmes lavent les vêtements de leurs maris et de leurs enfants aux eaux

  1. Enquête sur la condition des classes ouvrières et le travail des enfants (Bruxelles, 1846-1848, 3 vol.). La Commission chargée de l’enquête fut nommée le 7 septembre 1843. Elle a rédigé son rapport au moyen des réponses que lui fournirent les ingénieurs de l’État, les Commissions médicales et les industriels qui ont consenti à en envoyer. On ne voit pas qu’on ait interrogé les ouvriers eux-mêmes. La Commission médicale du Hainaut dit (t. III, p. 15) qu’elle n’est pas parvenue à savoir ce qui se passe dans le plus grand nombre des fabriques de la province. Pour le milieu gantois, il faut consulter : J. Mareska et J. Heyman, Enquête sur le travail et la condition physique des ouvriers employés dans les manufactures de coton (Gand 1845).