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Associés au début avec les catholiques-démocrates, amis de Bartels et qui collaborent avec eux au Radical (1837 — 1838) et au Débat Social (1844), leur adhésion de plus en plus nette à la libre pensée les a fait rompre en 1846 avec ces alliés de la première heure. Car c’est en dehors de l’Église, si ce n’est contre elle, qu’ils conçoivent l’organisation sociale. Avec Marx, Jottrand considère les misères de la classe ouvrière comme une phase nécessaire de la concentration capitaliste dont sortira fatalement un avenir meilleur[1]. De son côté, Defré prône dans l’Organisation Sociale les doctrines phalanstériennes de Fourier. À l’Université de Gand, le professeur Huet expose, à partir de 1846, devant un petit groupe de disciples choisis, parmi lesquels figure Émile de Laveleye, une sorte de socialisme chrétien s’inspirant de la philosophie de Bordas Dumoulin. Des aspirations humanitaires pacifistes et internationales dominent tout ce mouvement d’idées. En 1847, l’Association démocratique, fondée par Jottrand, se donne pour programme de travailler à la fraternité des peuples. Mais ses membres sont si éloignés de l’action révolutionnaire qu’il ne semble pas qu’ils aient connu le manifeste communiste publié par Marx au cours de cette année. Et s’ils l’avaient connu, la plupart d’entre eux bien certainement en auraient été épouvantés. Leur socialisme, si l’on peut l’appeler ainsi, encore tout imprégné d’individualisme libéral, ne provenait que de leur pitié pour les souffrances des travailleurs et de l’indignation généreuse qu’elles leur inspiraient.

Les progrès de l’industrialisation du pays allaient de pair en effet avec ceux de la misère et de la démoralisation. Si, durant la période de 1834 à 1839, la prospérité économique avait eu pour conséquence une hausse rapide des salaires, leur baisse à partir de la dépression qui avait succédé à cet élan trop fougueux, faisait apparaître plus nettement la détresse du prolétariat dont les villes et les régions minières se trouvaient encombrées. Une enquête sur la condition des ouvriers industriels, décidée par les Chambres en 1843, avait dévoilé une situation

  1. Chlepner, op. cit., p. 392. Voy. déjà en 1838 la brochure de Jottrand : L’Association du peuple de la Grande-Bretagne et de l’Irlande.