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Parlement sans parti, le roi put longtemps appeler au ministère les hommes de son choix et exercer ainsi durant les premières années du régime, une influence salutaire et jouir pleinement d’une liberté d’action sans laquelle l’organisation du pouvoir exécutif, si négligé par la constitution, eût sans doute été bien difficile. Mais il fut une faiblesse parce que, ne pouvant compter sur l’appui d’aucun groupe politique se solidarisant avec eux, les ministres se trouvèrent constamment en butte aux défiances de la représentation nationale. Leur situation fut d’autant plus pénible que les Chambres législatives ne se résignèrent qu’assez lentement à admettre qu’elles n’étaient pas revêtues de la souveraineté qui avait appartenue au Congrès[1].

Toute initiative du gouvernement leur était suspecte, comme une atteinte à leurs droits, ou comme une tentative d’arbitraire. En dehors des fonctionnaires qui en général le soutiennent, ne fût-ce que de leur silence, le Cabinet ne rencontre guère qu’une opposition malveillante et soupçonneuse quand elle n’est pas violente. Entaché d’un vice redhibitoire en tant que dépositaire du pouvoir exécutif, il se voit accusé à tout propos de violer la constitution. Ses actes les plus simples, la nomination d’un agent administratif, l’octroi d’une subvention, soulèvent à tout bout de champ des discussions passionnées. Derrière lui, à vrai dire, ce qui est visé, c’est la monarchie qu’il couvre. L’esprit républicain du Congrès qui se survit chez ses successeurs ne leur permet d’envisager le souverain que comme une sorte de fonctionnaire supérieur que son irresponsabilité doit priver de toute espèce d’initiative et qui, payé par la nation, n’a d’autre devoir que celui d’enregistrer ses volontés. Parmi eux, comme au dehors, toute déférence à l’égard de la couronne passe pour une marque de courtisanerie et de servilisme.

Dans les cérémonies publiques, on ne se donne pas même la peine de communiquer au roi les discours auxquels il doit répondre[2]. En 1832, la proposition de créer l’ordre de Léo-

  1. Lebeau, Souvenirs, p. 177, dit qu’elles se ressentent « des idées d’omnipotence du Congrès ».
  2. Lettre de Conway, du 8 septembre 1837. Il écrit à ce propos : « Dans notre pays à institutions républicaines, c’est bien le moins que le Roi puisse s’assurer, qu’après avoir rogné toutes ses prérogatives, on respecte au moins, dans les relations publiques avec le chef de l’État, les usages admis partout et les plus simples convenances ».