Aller au contenu

Page:Pirenne - De la méthode comparative en histoire, 1923.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 10 —

se confond pas plus avec elle que l’histoire économique, par exemple, ne se confond avec l’économie politique ou l’histoire du droit avec le droit. Elle peut indiquer à l’historien des points de vue, elle ne peut pas lui imposer sa méthode.

Il reste donc, si nous voulons comprendre les originalités et les individualités nationales, qu’un seul procédé s’offre à nous, et c’est celui de la comparaison. Par elle, en effet, et par elle seule, nous pouvons nous élever à la connaissance scientifique. Nous n’y arriverons jamais si nous nous confinons dans les limites de l’histoire nationale.

Il va sans dire que je n’entends point parler ici du travail de l’érudition. La paléographie, la diplomatique, l’épigraphie, la numismatique, l’édition et la critique des sources, bref la pratique de ce métier délicat et passionnant grâce auquel l’histoire découvre, dégrossit et amène à pied d’œuvre ses matériaux, requiert une technique qui est dans toute la force du terme une technique scientifique, et sans laquelle l’histoire, d’ailleurs, ne serait qu’un genre littéraire. Quand je parle de connaissance scientifique, je n’envisage que la construction historique ; je pense non point à la critique d’élaboration, mais à la critique de synthèse[1]. Et c’est à propos de celle-ci, et à propos d’elle seule, que je ne puis m’empêcher de relever l’insuffisance et le danger de la méthode qui consiste à traiter l’histoire d’un peuple du point de vue de ce peuple même, à la disposer et à l’organiser comme si elle n’existait que pour lui, comme si elle était autre chose qu’une simple manifestation locale de l’histoire universelle. Serait-il irrévérencieux de dire qu’il arrive trop souvent à l’historien de se conduire à l’égard de sa nation comme l’architecte à l’égard de ses clients ? Il cherche avant tout à lui fournir une histoire conforme à ses goûts et à ses mœurs, bref, une histoire habitable. Mais l’histoire, en tant du moins qu’elle revendique le nom de science, ne s’applique pas à la pratique, elle ne s’applique qu’à la vérité. Et comment est-il possible de découvrir la vérité, si ce n’est en tournant ses regards vers elle ?

  1. On sait que c’est à cette critique de synthèse que s’appuie depuis plusieurs années l’excellente Revue de synthèse historique dirigée par M. H. Berr.