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Page:Pirenne - De la méthode comparative en histoire, 1923.djvu/15

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lui, on ne voit que lui, et on se rend ainsi incapable de le comprendre. Au vrai, il faut reconnaître que ce qui manque le plus à nos histoires nationales, si brillantes qu’elles soient par ailleurs, c’est l’objectivité scientifique, et, disons le mot, l’impartialité. Et ce manque d’impartialité, je me garderai bien de dire qu’il est voulu, mais je dirai qu’il est fatal. Les préjugés de race, les préjugés politiques, les préjugés nationaux sont trop puissants sur l’homme pour qu’il puisse leur échapper, s’il ne se place hors de leur atteinte. Pour s’en affranchir, il faut qu’il s’élève jusqu’à cette hauteur d’où l’histoire apparaissant tout entière dans la majesté de son développement, les passions passagères du moment se calment et s’apaisent devant la sublimité du spectacle[1]. Comment y arriver, si ce n’est par la méthode comparative ? Elle seule est capable de faire éviter à l’historien les pièges qui l’entourent, de lui permettre d’apprécier à leur juste valeur, à leur degré précis de vérité scientifique, les faits qu’il étudie. Par elle, et par elle seule, l’histoire peut devenir une science et s’affranchir des idoles du sentiment. Elle le deviendra dans la mesure où elle adoptera pour l’histoire nationale le point de vue de l’histoire universelle. Dès lors, elle ne sera pas seulement exacte, elle sera aussi plus humaine. Le gain scientifique ira de pair avec le gain moral, et personne ne se plaindra si elle inspire un jour aux peuples, en leur montrant la solidarité de leurs destinées, un patriotisme plus fraternel, plus conscient et plus pur.



  1. Les idées exposées ici ne prétendent à aucune originalité. Elles étaient déjà dans l’air avant la guerre. Celui qui observe le mouvement général de la littérature historique constate combien les histoires universelles se sont multipliées depuis quelque temps. Un certain nombre d’entre elles étaient sans doute plus générales qu’universelles et visaient davantage à exposer les faits qu’à les expliquer. Il n’empêche que la tendance existait vers une conception historique plus scientifique. C’est cette conception qui préside à l’élaboration du grand ouvrage publié depuis 1920 sous la direction de M. H. Berr : L’évolution de l’humanité.